Centre de médias

Discours

JOSÉ MIGUEL INSULZA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS
ALLOCUTION DE JOSÉ MIGUEL INSULZA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’OEA, À LA CÉRÉMONIE D’OUVERTURE DE LA TRENTE-NEUVIÈME SESSION ORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

2 juin 2009 - San Pedro Sula (Honduras)


Monsieur Manuel Zelaya Rosales, Président de la République du Honduras et Madame Ziomara Castro de Zelaya, Monsieur Daniel Ortega, Président de la République du Nicaragua et Madame Rosario Murillo de Ortega, Monsieur Fernando Lugo Méndez, Président de la République du Paraguay, Madame Patricia Isabel Rodas Baca, Secrétaire d’État aux affaires étrangères du Honduras, Monsieur Albert Ramdin, Secrétaire général adjoint de l’Organisation des États Américains, Madame Rigoberta Menchú, Prix Nobel de la paix, Mesdames et Messieurs les ministres des affaires étrangères et chefs de délégation, Messieurs les Présidents et les Directeurs des organismes interaméricains et internationaux, Mesdames et Messieurs les ministres et hauts fonctionnaires du Gouvernement du Honduras, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les invités, Mesdames et Messieurs,

En accueillant les Ministres des relations extérieures des Amériques, je tiens à remercier MM. Daniel Ortega, Président du Nicaragua, et Fernando Lugo, Président du Paraguay, qui honorent de leur présence cette cérémonie d’ouverture.

Je remercie spécialement, au nom de toutes les personnes présentes, Monsieur José Manuel Zelaya, Président du Honduras, ainsi que son gouvernement, le peuple du Honduras et les autorités et les citoyens de San Pedro Sula, pour ce chaleureux accueil qu’ils nous ont réservé et pour les égards et l’efficacité qu’ont démontrés toutes les équipes de travail dans l’organisation de cette Trente-neuvième Session ordinaire de l’Assemblée générale.

En même temps que ces remerciements, Monsieur le Président, je vous présente nos sincères condoléances pour les événements tragiques intervenus dans la nuit du 28 mai et qui ont endeuillé votre cher pays et, avec lui, toutes les Amériques. La noblesse avec laquelle vous-même et votre peuple nous accueillez dans des circonstances aussi difficiles ne fait qu’accroître notre reconnaissance.

LA CRISE ÉCONOMIQUE ET SES EFFETS SOCIAUX ET POLITIQUES

Il y a un an, lorsque nous avons commencé la Trente-huitième Session ordinaire de cette Assemblée générale à Medellin, j’ai exprimé un optimisme modéré vis-à-vis du moment que traversait notre région. Nous nous trouvions au milieu de la sixième année consécutive de croissance en Amérique latine et dans la Caraïbe et, suite à cette croissance et à de bonnes politiques publiques dans la majorité de nos pays, au cours des cinq années précédentes, le nombre de personnes vivant dans des conditions de pauvreté avait diminué de 27 millions et le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue avait reculé de 16 millions.

Comme nous le savons tous, actuellement, la situation est malheureusement différente.

Aujourd’hui, la région subit une crise économique d’une ampleur mondiale. Tous nos pays, connaissent des situations de contraction économique. Bien que certains pays, en raison d’un dynamisme économique antérieur plus robuste, ou encore grâce à l’application préalable de mesures de prévention anticycliques, soient dans une meilleure position, tous les pays seront affectés en fin de compte et il nous incombe de prévoir les effets de cette situation et d’agir en conséquence.

Nous sommes préoccupés par les effets sociaux et politiques de cette crise et par la possibilité de perdre nos acquis dans la lutte contre la pauvreté que nous avons menée durant ces dernières années, ainsi que par le fait que l’on prévoit que plus de 12 millions de personnes dans la région courent le risque d’y sombrer dans les deux années à venir. Dans un climat caractérisé par un accroissement des niveaux de pauvreté et d’insécurité du travail, l’utilisation durable de l’énergie, l’environnement et le développement en général seront eux aussi menacés.

Nous devons éviter que la crise, en touchant tous les secteurs sociaux, ne donne lieu à des luttes distributives qui se répercuteront sur les plus faibles et sur les relations politiques et sociales à l’intérieur des pays de la région.

Le bon fonctionnement du système démocratique peut servir d’instrument pour débattre et régler les divergences et les luttes que provoquera la crise. Le déroulement, de manière régulière, d’élections ouvertes, transparentes et compétitives dans tous nos pays permet de canaliser les conflits et de les résoudre par la voie démocratique.

Mais, il faut faire davantage. Il faut également un système d’accords politiques et sociaux de grande ampleur, qui permette de renforcer la gouvernance et la viabilité politique des mesures qu’il sera nécessaire d’adopter. La conclusion de grands accords nationaux, avec le consensus de la majorité des acteurs sociaux et politiques, peut diminuer l’effet de la crise sur les segments les plus vulnérables de nos sociétés et en même temps prévenir un renchérissement dangereux des accusations mutuelles se rapportant à des choses que nous n’avons pas provoquées.

Mais il ne s’agit pas seulement de conclure des accords internes dans chaque pays. Il faut aussi arriver à des consensus à l’échelle régionale, grâce auxquels nous pourrons mettre en place une réponse coordonnée, intégrale et efficace à la crise, avec l’appui de toute la communauté internationale.

Nos chefs d’État et de gouvernement ont progressé résolument dans cette direction durant leur réunion de Trinité-et-Tobago. À ce Sommet, nos dirigeants, sans exception aucune, ont dialogué dans un climat de recherche amicale de consensus.

À partir des accords du G-20, auxquels ont participé cinq pays membres de l’OEA, nos Chefs d’État et de gouvernement ont examiné des mesures propres à atténuer les effets de la crise, parvenant à d’importants accords destinés à éviter le protectionnisme, à promouvoir la compétitivité, à protéger les populations les plus vulnérables et à faire face à la réduction de l’arrivée de capitaux dans la région.

Paradoxalement, tandis que la CEPALC nous annonce qu’en 2008 l’investissement direct étranger a atteint le chiffre le plus élevé jamais enregistré en Amérique latine et dans la Caraïbe, à savoir 128 milliards de dollars, soit 13 pour cent de plus qu’en 2007, la région doit faire face, cette année, à une chute prononcée des flux de capitaux et cela, sans que nous ayons changé de politiques ou ayons perdu de notre fiabilité. Il s’agit simplement de la réduction généralisée qui caractérise cette crise et qui n’a pas épargné nos pays.

Nos dirigeants espèrent que les engagements de flexibilité des conditions des institutions internationales, à savoir le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, se feront sentir dans nos économies. Ces engagements mettent particulièrement l’accent sur l’accroissement du capital de nos propres banques de développement, la Banque interaméricaine de développement (BID), l’Association andine de développement (CAF), la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) et la Caribbean Development Bank (BDC). Nous espérons, comme le souligne une résolution que vous examinerez pendant cette Assemblée, que la décision d’augmenter le capital de la BID interviendra à temps pour accroître l’efficacité de son action dans le Continent américain.

Il est aussi indispensable d’éviter que nos pays adoptent, comme ce fut le cas lors de crises précédentes, des mesures artificielles visant à exporter leur chômage au détriment d’autres pays. Le protectionnisme, le mauvais traitement des immigrants, le fait de se disputer les ressources financières limitées ainsi que d’autres mesures sont contraires à l’esprit de coopération et de solidarité avec lequel nous devons nous attaquer à la crise.


L’AGENDA CONTINENTAL

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ministres,

Grâce au dialogue de nos présidents et aux accords conclus lors du Sommet, nous avons aujourd’hui un agenda commun, que nous devons être en mesure de mettre en oeuvre.

Il ne peut se limiter simplement à être une liste de thèmes. Bien qu’il soit déjà important que nous soyons d’accord à propos de cette liste, il est fondamental que nous soyons aussi d’accord sur leurs contenus et sur des actions communes qui démontrent que le multilatéralisme que nous pratiquons contribue à la solution des problèmes.

Le premier thème est, bien évidemment, la crise économique, que j’ai déjà mentionnée. Le deuxième thème, qui est en rapport étroit avec le règlement de la crise, a été examiné à Port of Spain, à savoir la prospérité humaine. Au cours des années récentes de croissance économique, nos pays se sont efforcés de réduire la pauvreté à l’aide de programmes novateurs, de transferts sous conditions et d’appui direct aux familles en situation de pauvreté extrême. C’est pourquoi nos Ministres chargés du développement social, nos Présidents et nos Chefs de gouvernement ont décidé de créer un Réseau interaméricain de coopération pour la protection sociale que nous espérons faire démarrer avant la fin de l’année. Au moyen de ce réseau, nous espérons diffuser dans l’ensemble du Continent américain des pratiques optimales dans des programmes de transferts sous conditions et de microcrédit.

Le développement intégré de nos sociétés demeure au centre de nos préoccupations. Nous continuons de concevoir et de mettre en œuvre, conjointement avec nos pays membres, des politiques, des programmes et des projets orientés vers le développement des capacités humaines, le renforcement institutionnel et l’élaboration de politiques publiques performantes, l’éducation, les emplois décents, le développement social, la culture, le commerce, la science et la technologie, le développement durable et l’environnement. Tous ces sujets ont été traités lors des Sommets précédents, dont les mandats sont en vigueur et nous devons continuer de les mettre en œuvre activement.

Le troisième thème est celui de l’énergie que nous abordons à partir d’une double constatation: notre continent possède des ressources énergétiques riches et variées et, pourtant, nous ne disposons pas encore de réseaux adéquats de coopération et de complémentation et, par ailleurs, notre consommation d’énergie demeure très inefficace. Nos dirigeants sont convenus, à Port of Spain, de la nécessité de créer un réseau de coopération qui, doté d’une structure souple, pourrait coordonner entre les pays la production d’énergies renouvelables et non renouvelables, leur transport et leur consommation efficaces.

Bien que nous partagions l’idée selon laquelle cette initiative devrait constituer un cadre souple et volontaire de coopération, nous pensons qu’il faut un certain type d’institutionnalité pour assurer cette coordination. Nous espérons prendre connaissance des premières propositions relatives à ces initiatives à la réunion qui se tiendra à Lima à la mi-juin.

Le changement climatique, qui est étroitement lié au thème précédent, constitue le quatrième thème de l’agenda commun. Bien que les deux questions aient abondamment été traitées ensemble, il importe de rappeler que, dans notre région, `l’utilisation des sols joue un rôle aussi important dans le changement climatique que les émissions de gaz. La pollution de l’air et des eaux est étroitement liée à la pauvreté et à l’absence ou à la dégradation de l’infrastructure sanitaire. Un traitement spécifique est donc indispensable.

Le cinquième thème est celui de la migration. Objet d’un grand débat, teinté d’un alarmisme inapproprié au cours des dernières années, le flux de migrants entre les pays d’Amérique et vers d’autres régions est un sujet clairement continental, par sa nature, auquel nous devons faire face ensemble, parce qu’il touche un grand nombre de nos citoyens, nos familles et nos sociétés et, en raison du montant des envois de fonds le développement de nos économies. Si nous voulons vraiment que la politique continentale soit l’affaire de tous, voici un terrain dans lequel nous devons en apporter la preuve.

Paradoxalement, la crise qui a exercé un impact négatif sur l’ampleur de la migration, nous permet, maintenant, de traiter ce thème en étant soumis à des pressions moins fortes.

Les droits des migrants sont une question qui retient également notre attention. Par le Programme interaméricain de promotion et de protection des droits des migrants, nous avons établi un accord de coopération technique avec l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) pour mettre en œuvre un système permanent de rapports sur les travailleurs migrants pour l’Amérique latine et la Caraïbe. Ce système produira des données sur les flux et les tendances migratoires dans les pays qui sont membres de notre Organisation.

Le sixième thème est celui de la sécurité publique, qui a aussi trouvé une place dans l’ordre du jour de la réunion de nos dirigeants à Port of Spain. Il y a un an, à cette même Assemblée, j’ai fait part de ma préoccupation face à l’envergure atteinte par le problème de la criminalité et du trafic de stupéfiants dans la région, et à ce que cela signifiait, non seulement pour le bien-être matériel et l’exercice des droits fondamentaux de nos citoyens mais aussi pour la stabilité même de nos institutions. Nous avions annoncé il y a un an la tenue d’une Réunion des Ministres en matière de sécurité publique des Amériques, qui grâce à la généreuse collaboration du Gouvernement du Mexique, s’est tenue avec beaucoup de succès en octobre de l’année passée à Mexico. Ce fut la première occasion d’engager, à un haut niveau, une large discussion sur cette question dans notre région. La réunion a atteint complètement ses objectifs et vers la fin de l’année se tiendra la deuxième réunion, en République dominicaine; laquelle sera précédée d’une réunion d’experts de haut niveau en Uruguay.

Il y a quelques semaines, la Commission interaméricaine de lutte contre l’abus des drogues (CICAD) a tenu sa réunion annuelle. Il y a été convenu de la nécessité de s’intéresser aussi, de préférence, à la réduction de la demande, sans renoncer aux politiques d’interdiction que nos pays appliquent à des coûts humains et matériels élevés. Les efforts que nous entreprenons en matière d’interdiction pourront améliorer la situation de l’ordre public dans certains pays, mais la drogue continuera d’être acheminée à moins que nous soyons en mesure de réduire la demande, en particulier dans les centres affluents de plus grande consommation.

Nous nous sentons spécialement encouragés par l’engagement pris par la grande majorité des pays envers la Convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic illicites d’armes (CIFTA), qui a déjà été ratifiée par trente pays membres et dont la présentation au Congrès pour ratification a été annoncée par le Président Obama au Cinquième Sommet des Amériques.

Le refus de la violence en tant que mode de relation entre les êtres humains et en particulier en tant que façon de régler leurs différends est une aspiration particulièrement pertinente au sein de notre Continent.

C’est pour cette raison, Monsieur le Président Zelaya, que les gouvernements de la région ont accueilli à l’unanimité votre proposition de développer une culture de paix et de non-violence qui exprime des valeurs, des attitudes et des comportements fondés sur le respect de la vie et de la dignité de l’être humain. Une culture de paix et de non-violence qui met au premier plan les droits de la personne et l’adhésion aux principes de liberté, de justice, de démocratie, de solidarité, de tolérance et de respect de la diversité qui caractérise nos peuples et qui doit être favorisée au moyen de l’éducation, du dialogue et de la coopération.

Grâce à votre heureuse initiative, les ministres des relations extérieures des Amériques prendront, à l’occasion de cette Trente-neuvième Session ordinaire de l’Assemblée générale, l’engagement de promouvoir, dans le cadre de l’état de droit, une culture de paix et de non-violence dans notre région. Cet engagement comprend la reconnaissance de la nécessité de faire participer tous les secteurs de la société à la promotion de ces modes de comportement ainsi que la décision de prendre les mesures nécessaires pour prévenir, empêcher et pénaliser la violence, la ségrégation, l’exploitation et la discrimination à l’encontre de groupes et de personnes en situation de vulnérabilité.

Je n’ai aucun doute, Monsieur le Président, que cette réunion et cet engagement représenteront un pas en avant décisif dans les efforts déployés à l’échelle du Continent américain pour lutter contre les diverses manifestations de violence qui aujourd’hui nous portent préjudice et établiront les conditions propres à garantir le plein respect et la promotion des droits de la personne et des libertés fondamentales dans notre région.

Toutes les tâches imposées par cet agenda impliquent l’élaboration de politiques publiques efficaces, auxquelles nombre de nos États, après des années d’érosion de leurs capacités, ne sont pas toujours préparés.

Le septième et dernier thème de notre agenda commun concerne donc la gouvernance démocratique.

La politique démocratique se heurte aujourd’hui à un défi considérable. L’épreuve du feu de nos démocraties n’est plus leur capacité à tenir des élections libres ni à maintenir la stabilité de leurs gouvernements, mais leur capacité à démontrer que leurs gouvernements démocratiques sont capables de résoudre les problèmes de pauvreté, d’exclusion, de qualité de l’environnement et de sécurité publique qui touchent la plupart des pays. L’épreuve du feu de la démocratie consiste à prouver qu’elle peut améliorer la qualité de vie de ses citoyens, que la démocratie est bonne également parce qu’elle gouverne mieux.

C’est pourquoi, nous nous sommes efforcés d’élaborer un ensemble de programmes relatifs à la gouvernance, qui ont pour objet de traiter des problèmes de transparence et de corruption, d’accroître l’accès à la justice, de moderniser les services publics, d’appuyer la décentralisation, d’accroître la compétitivité, de promouvoir la responsabilité sociale des entreprises et les partenariats entre les secteurs public et privé, de renforcer l’égalité entre les sexes et la défense des minorités.

Le Programme d’universalisation de l’établissement de l’identité civile dans les Amériques, exécuté à l’origine au Paraguay et aujourd’hui avec une forte intensité en Haïti, où plus de quatre millions de citoyens ont été inscrits sur les registres de l’état civil nous remplit également de satisfaction. Nous voulons étendre ce Programme à tous les pays des Amériques qui le demanderont, en tant que politiques en faveur des jeunes, en tant que [solution] aux problèmes du troisième âge et en tant que défense des consommateurs.

Nous pouvons continuer à être fiers de notre démocratie. Tous les mandataires qui ont pris part au Cinquième Sommet des Amériques ont été démocratiquement élus. Ces dernières années, et malgré le fait que certains gouvernements ont dû faire face à des situations de grave tension politique, la région est demeurée stable et la démocratie n’a subi aucune altération.

Je ne prétends pas suggérer que cette stabilité nouvelle a été l’œuvre de cette Organisation. Mais je suis fier de dire que, au cours de cette période historique, l’OEA a joué un rôle positif dans la consolidation de notre démocratie.

Avec l’Europe, nous formons les deux continents démocratiques en ce début de XXIe siècle. Avec des différences de nuances, de nombreuses dissensions et au-delà des divergences entre nos gouvernements, il existe une entente de base entre tous nos pays sur un ensemble de facettes dans lesquelles s’expriment actuellement les principes de base de la démocratie et de la gouvernance. Ces facettes et ces points sont consacrés dans notre Charte démocratique interaméricaine.

Durant l’année qui a suivi notre dernière Assemblée générale, nous avons déployé des missions d’observation des élections au Paraguay, en République dominicaine, à la Grenade, en Bolivie, à Antigua-et-Barbuda, en Équateur, au Honduras, en Haïti, à El Salvador et au Panama, avec la participation de centaines d’observateurs et d’experts en questions électorales. Nous avons aussi travaillé intensément au renforcement des systèmes électoraux des pays qui nous en ont fait la demande.

Nous avons maintenu nos missions spéciales en Haïti et en Colombie. S’agissant d’Haïti, nous présenterons un rapport spécial au moment pertinent de cette Assemblée, en exécution du mandat conféré par le Cinquième Sommet des Chefs d’État. Quant à la Colombie, la Mission d’appui du processus de paix a poursuivi ses travaux de vérification en matière de désarmement, de réinsertion, de vérité et justice et d’appui aux personnes déplacées et nous nous tenons prêts à coopérer au processus de paix lorsque celui-ci s’étendra aux autres forces irrégulières.

Depuis le début de 2008, l’Organisation participe activement en qualité d’observateur au processus politique de la Bolivie, à l’invitation de son gouvernement. Nous avons systématiquement appuyé son unité nationale, son dialogue politique, ses efforts visant à élaborer une nouvelle constitution et tous ses processus électoraux. C’est pourquoi, j’ai assisté avec grande fierté à la cérémonie de signature de la constitution au début du mois de février. C’est aussi pourquoi nous appuyons maintenant l’établissement d’une nouvelle liste électorale, engagement qui a ouvert la voie à la dernière étape du processus institutionnel, à savoir les élections générales à la fin de l’année.

En ce qui concerne la relation entre la Colombie et l’Équateur, nous avons mené de nombreuses missions dans ces deux pays pour y rechercher des formules et des moyens propices à la normalisation de la situation et au développement des relations qui les unissent. Malheureusement, nos démarches sont restées vaines, dans la mesure où la rupture des relations subsiste ainsi que le désaccord sur les points fondamentaux qui sont exigés par les parties pour la normalisation de leurs relations. Il y a quelques semaines nous avons remis le rapport de notre Commission d’experts qui a effectué une visite dans la région frontalière entre les deux pays et nous attendons les commentaires des gouvernements pour pouvoir le publier.

À l’issue de nombreuses années de médiation et de suivi du processus de négociation dans le long différend territorial entre le Belize et le Guatemala, un accord a été signé au siège de notre Organisation à Washington qui prévoit que les deux parties soumettront à un plébiscite simultané, dans les deux pays, la décision de porter leur différend devant la Cour internationale de justice aux fins de règlement. Nous continuerons de prêter assistance à ces deux pays et nous maintiendrons notre mission dans la Zone jouxtant la frontière entre les deux pays pour éviter des incidents qui risquent de compromettre le processus qui vient de débuter.

Nous espérons enfin obtenir de cette Assemblée un mandat bien défini d’appui spécial au Guatemala, pays dans lequel de graves défis se posent pour ses systèmes de justice et d’ordre public qui peuvent devenir une menace pour le régime démocratique, lequel a l’appui du Conseil permanent de l’OEA, et son gouvernement a demandé notre participation à la lumière des dispositions de l’article 17 de la Charte démocratique interaméricaine.

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ministres,

L’ordre du jour de cette Assemblée contient, comme cela est désormais l’habitude, des questions qui ont une grande pertinence pour la bonne marche de notre Organisation. La violence qui s’accroît dans la région, les mandats du dernier Sommet des Amériques, la révision de notre action commune en Haïti, les critiques récentes adressées aux activités des organismes chargés des droits de la personne, la question de Cuba, autant de thèmes d’une grande importance qui ont été inscrit à l’ordre du jour de notre réunion.

Il s’agit également de thèmes qui révèlent la validité permanente de notre Organisation et du Système interaméricain. Comme je l’ai déjà dit, il existe dans notre Continent un espace très vaste pour un agenda interaméricain, il y a des questions qui concernent tout notre Continent et ce sont ces questions-là que traite l’OEA. Les organisations de la société civile, de la jeunesse, du secteur privé, des travailleurs qui assistent, de plus en plus nombreuses, à nos activités ainsi que les médias qui couvrent de plus en plus nos activités et nos débats l’ont bien compris.

Au cours des quatre années pendant lesquelles j’ai été Secrétaire général de l’OEA je me suis efforcé pour que l’Organisation s’occupe de questions pertinentes et pour que tous les pays membres des Amériques participent au sein de l’OEA et sentent que celle-ci leur appartient. Il n’y a plus aucun thème qui ne puisse être traité au sein de l’OEA et il n’y a pas non plus de membres plus importants que les autres.

Cela n’a pas été facile à atteindre parce que nous sommes différends et parce que la région a vécu, au cours de ces années, des changements permanents et accélérés. Mais nous partageons des valeurs dont la mise en pratique a été conquise avec de gros sacrifices et au milieu de grandes difficultés et cela nous oblige à toujours rechercher les consensus afin de progresser tous ensemble.

En ce qui concerne la question de Cuba, je ne crois pas que je doive, en ce moment, ajouter un commentaire. Ma position est connue et les ministres des relations extérieures, qui sont les plus hautes autorités de cette Organisation, feront connaître leur opinion dans les heures qui viennent. Dans cette question sont impliquées les principales valeurs sur lesquelles repose notre Système : la nature inclusive proclamée par la Charte de notre Organisation et la démocratie que nous avons consacrée dans notre Charte démocratique interaméricaine. N’ayons pas de problème alors à débattre de cette question mais souvenons-nous précisément de ce passé, mettons en avant la volonté de parvenir à un consensus. Nous voulons aller de l’avant et laisser derrière nous un passé qui pour beaucoup n’est pas positif, mais pas en tombant à nouveau dans des divisions. Ces dernières années nous avons fonctionné de mieux en mieux et plus harmonieusement en appliquant cette règle du consensus et j’espère que nous ne nous en écarterons pas cette fois-ci.

Notre Organisation a fêté l’année dernière son soixantième anniversaire de même que notre système des droits de la personne ; le Système interaméricain aura 120 ans l’année prochaine (et il y aura 100 ans, au mois d’avril, que notre bâtiment, à Washington, a été inauguré). Nous sommes la plus vieille organisation internationale au monde, le symbole vivant du souhait des Américains de toujours cheminer ensemble. Nous ne sommes pas toujours fiers de notre histoire, mais nous nous sommes efforcés de nous transformer et je crois que, en particulier ces dernières deux décennies, avec le retour de la démocratie au centre et au Sud de notre Continent, nous y sommes parvenus.

Nous avons encore de nombreuses faiblesses mais celles-ci constituent également nos principales forces.

Nul n’est plus respectable que l’OEA quand il s’agit de l’observation des élections et de la coopération en matière électorale. Au cours de ces dernières années, nous avons observé près de cinquante processus électoraux. Et comme le Continent américain est en pleine transformation politique et institutionnelle, nous nous sommes rendus jusqu’à six fois dans certains pays.

Aucun autre système continental des droits de la personne n’a l’autonomie et la crédibilité de notre Commission et de notre Cour interaméricaines des droits de l’homme. C’est ainsi que l’ont compris les milliers de Latino-américains qui, sous les dictatures, ont fait appel à ce système en tant que derniers recours pour la protection de leurs vies et de leurs droits et qui continuent à s’adresser à lui une année après l’autre. Je comprends que, bien des fois, les actions de notre Commission et de notre Cour soient accueillies avec désagrément par les pays. Il m’arrive à moi aussi de ne pas être d’accord avec une décision qui ne m’est jamais communiquée avant que la Commission ne la prenne. Nous pouvons aussi améliorer bon nombre de nos procédures. Mais il n’existe aucun substitut à un système comme celui que nous avons, doté du degré indispensable d’autonomie qui lui permet d’agir. Je souhaite vivement que nous puissions travailler tous ensemble au renforcement de ce système et le rendre effectif pour tous.

Lorsqu’il y a des conflits entre les pays membres de l’OEA, ceux-ci font appel à l’Organisation, surtout quand ces différends impliquent des questions de fond du droit américain, lequel est l’un des grands patrimoines de l’OEA. Il y a un an et trois mois, un conflit lamentable a surgi entre deux États membres. Une réunion des Présidents du Groupe de Río a ouvert la voie vers un règlement; or, tous les points juridiques qui ont été cités par le Groupe de Río dans sa résolution ont été extraits de la Charte de l’Organisation des États Américains et une réunion de consultation ultérieure des ministres des relations extérieures de l’OEA leur a conféré la juridicité indispensable. Les autres organismes et groupes régionaux n’entrent pas en contradiction avec l’OEA; au contraire, nous nous complétons les uns les autres lorsque chacun d’entre nous fait son travail.

Je pourrais citer d’autres domaines, comme la coordination de la lutte contre le trafic de drogues, le suivi de la Convention contre la corruption ou contre la violence à l’égard de la femme, ou les activités d’institutions comme l’Institut de l’enfance, la CIM ou notre système de bourses ou bien le Secrétariat pour la Convention sur les personnes handicapées qui nous avons installé récemment à Panama. Mais pourquoi continuer ?

Mais la situation est claire. : lorsque j’entends des voix qui s’élèvent pour éliminer l’OEA, je me demande combien de décennies ont été nécessaires pour construire une organisation semblable et qui ferait le travail que nous réalisons. Quand on parle de « bureaucratie impériale » je ne peux que penser à nos fonctionnaires, en particulier à ceux qui s’acquittent avec abnégation de leurs fonctions dans le cadre de la Mission de paix en Colombie, en Haïti ou dans la Zone jouxtant la frontière entre le Guatemala et le Belize ou à ceux qui se rendent dans des endroits éloignés de nos pays en mission d’observation des élections ou aux citoyens distingués qui sacrifient leur temps libre et leurs revenus pour travailler au sein de notre Commission, de notre Cour ou de notre Comité juridique.

Je suis préoccupé, enfin, par le fait que ces voix s’élèvent au moment où s’ouvre devant nous la possibilité, qui ne s’est pas présentée à nous pendant bien longtemps, de renforcer notre Système interaméricain. Le Sommet des Amériques a amené un nouveau climat de dialogue dans la région. Tous les pays des Amériques ont des dirigeants démocratiques. Les Etats-Unis ont un Président qui jouit d’une popularité et d’une crédibilité presque sans précédents dans tout le Continent. Nous avons, comme jamais auparavant, un agenda commun. Accordons-nous la possibilité que tout cela porte ses fruits et ne nous précipitons pas vers des divisions à cause de différends ou de préjudices.

L’OEA a beaucoup changé ces dernières années, mais elle peut changer et s’améliorer encore davantage. Alberto Lleras Camargo, son fondateur, a dit que l’OEA sera uniquement ce que ses États membres voudront qu’elle soit. Il n’y a pas d’OEA en dehors de son Conseil permanent et de son Assemblée générale. Vous êtes l’OEA.

Je vous remercie de votre attention.