Centre de médias

Communiqué de presse


LE BUREAU SPECIAL POUR LA LIBERTE D’EXPRESSION CONCLUT UNE VISITE A HAITI ET FAIT DES RECOMMANDATIONS

  4 octobre 2007

Washington, D.C., le 4 octobre 2007 - A la fin de sa visite de travail dans la République d’Haïti, le Bureau Du Rapporteur Spécial pour la Liberté d’expression de la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme (CIDH) de l’OEA, met en lumière l’information reçue des différents secteurs selon laquelle il y a eu une amélioration de la liberté d’expression dans le pays. Toutefois, le Bureau Spécial insiste sur la nécessité de poursuivre l’adoption de mesures efficaces de protection du droit à la libre expression. Dans ce contexte, le Bureau Spécial formule à l’Etat les recommandations suivantes destinées à suivre les progrès en la matière :
1) Promouvoir les enquêtes relatives aux assassinats perpétrés sur des journalistes dans le pays et déterminer s’ils ont à voir ou pas avec l’exercice de la profession de journaliste;
2) Rendre compatible la législation haïtienne avec la Convention Américaine des Droits de l’Homme en matière de liberté d’expression, incluant la dérogation sur le délit d´insultes à l´encontre des fonctionnaires publics dans les articles 183, 184, et 185 du Code Pénal, ainsi que la modification des articles 313, 315, 316 et 322 du Code Pénal, afin d’éliminer les sanctions pénales relatives aux offenses à l’honneur ou à la réputation lors de la diffusion d’information concernant des questions d’intérêt public ; et
3) Légiférer en matière d’accès à l’information publique, afin que l’accès à l’information soit garanti comme un droit de l’homme. L’accès à l’information constitue un instrument fondamental dans la lutte contre la corruption, faire du principe de transparence dans la gestion publique une réalité En Haïti à l’instar de plusieurs autres pays, par une culture du secret et par des organismes publics dont les politiques et pratiques de gestion de l’information ne sont pas pour faciliter l’accès à l’information par les tiers.

La visite du Bureau Spécial en Haïti s’insère dans le contexte d’efforts de l’actuel Gouvernement pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays, lesquels ont été mis en relief par la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme (CIDH). A ce sujet, la CIDH a noté une amélioration dans la situation de la sécurité publique à Port-au-Prince, et elle a félicité l’actuel gouvernement pour ses efforts, avec l’appui de la communauté internationale, orientés vers l’établissement d’un agenda pour le renforcement de l'Etat de droit en Haïti ainsi que des mesures prises pour améliorer la situation de l’administration de la justice (voir par exemple, CIDH, communiqué de presse No. 24/07 du 20 Avril 2007).

Durant la visite du 26 au 28 septembre 2007 en Haïti, le Rapporteur Spécial pour la Liberté d’Expression, Ignacio J. Alvarez, l’avocate de la CIDH Ismène Zarifis, l’avocate consultante Candis Craig, et la Coordonnatrice de Presse et de Communications de la Commission Leticia Linn, se sont réunis avec les représentants de l'Etat, des médias, de la société civile et des journalistes.

Au niveau des représentants de l’Etat, la délégation s’est réunie avec le Premier Ministre Jacques-Edouard Alexis; le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, René Magloire ; le Président du Sénat, Joseph Lambert et le Sénateur Rudolph Boulos ; le Président de la Chambre des Députés, Eric Jean-Jacques, et une délégation de législateurs ; le Président de la Cour de Cassation, Georges Moise ; le Commissaire du Gouvernement, Claudy Gassant ; et le Directeur des Affaires Juridiques du Ministère des Affaires Etrangères, Fortuné Dorléans.

En outre, la délégation a eu une rencontre avec les membres de la Commission d’Appui aux Enquêtes sur les Assassinats de Journalistes. La délégation s’est aussi réunie avec les membres de l’Association des Medias Indépendants d’Haïti (AMIH), et avec les membres de l’Association Nationale des Medias d’Haïti (ANMH). De même, elle a rencontré les organisations non gouvernementales de Droits Humains Commision Ecumenique de Justice et Paix (JILAP), Reseau National des Droits Humains (RNDDH), et Centre Eccumenique des Droits Humains (CEDH), ainsi que les organisations centrales de journalistes Association des Journalistes Haïtiens (AJH), Amicale des Femmes Haitiennes Journalistes (AMIFEHJ), Syndicat National des Travailleurs de la Presse (SNTPH), SOS Journalistes et Radio PGS.

Ces réunions ont permis au Bureau Spécial de compléter la mise à jour de l’information qu’elle détenait sur la situation du droit à la libre expression en Haïti. Le Bureau Spécial présente ses observations spécifiques dans une annexe à ce communiqué.

Le Bureau Spécial remercie tous les organes de l’Etat, les medias de communication, les organisations de la société civile et les journalistes pour la grande collaboration fournie à la délégation durant sa visite. Le Bureau Spécial réitère, comme part de son mandat, sa disposition à collaborer et à fournir l´assistance technique aux initiatives en matière de liberté d’expression qui se prennent dans le pays.

Le Bureau Spécial pour la Liberté d’Expression souhaite exprimer ses remerciements au Gouvernement et au peuple Haïtiens pour leur coopération durant le déroulement de la visite, au Bureau de l’OEA en Haïti pour sa aide dans l’organisation et la réalisation de la visite, et aux organisations non gouvernementales, journalistes, medias de communication et aux institutions de la société civile pour la participation et les informations apportées au Bureau Spécial durant la visite. Enfin, le Bureau Spécial voudrait exprimer ses remerciements à l’Agence Suédoise de Coopération Internationale pour son appui financier aux activités du Bureau Spécial, grâce auquel la présente visite a pu être financée.

Pour de plus amples informations sur le Bureau : http://www.cidh.org/relatoria/



















OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS SUR LA SITUATION DE LA LIBRE EXPRESSION EN HAITI

Ce document est une annexe au communiqué de presse 178/07 du le 4 octobre 2007 du Bureau Spécial pour la Liberté d’Expression de la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme (CIDH).


1. Enquêtes sur des assassinats de journalistes

Les journalistes assassinés en Haïti depuis l’an 2000, pour des motifs qui peuvent être liés à l’exercice de l’activité de journaliste, sont :

1.1) Jean Léopold Dominique, était directeur et propriétaire de la radio Haïti Inter et fut assassiné le 3 Avril 2000 dans les locaux de la radio.

1.2) Brignol Lindor, était directeur de la radio Echo 2000 et fut mis a mort par coups, le 3 de décembre 2001, par un groupe supposé de sympathisants du parti officiel de l’époque.

1.3) Ricardo Ortega, était le correspondant de la chaîne espagnole Antena 3 et fut assassiné le 7 mars 2004, alors qu’il couvrait une manifestation contre le jugement de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide.

1.4) Abdias Jean, était le co-gérant d’une radio à Miami et trouva la mort le 14 janvier 2005 alors qu’il couvrait une opération policière à Port-au-Prince.

1.5) Jacques Roches, était éditeur de la section culturelle du quotidien Le Matin. Il fut séquestré le 10 juillet 2005 et fut trouvé mort quatre jours après à Port-au-Prince.

1.6) Jean-Rémy Badiau, était photographe indépendant et fut assassiné par balles le 19 janvier 2007 à Port-au-Prince.


1.7) Alexis Joseph, était présentateur de radio et fut assassiné dans la ville de Gonaïves, le 16 mai 2007.

Le Bureau Spécial prie instamment les autorités haïtiennes d’enquêter de manière sérieuse et efficace sur ces crimes afin de déterminer si ces assassinats sont liés avec l’exercice de l’activité journalistique, et pour que les responsables matérielles et intellectuels, soient convenablement punis par la loi.

L’assassinat est la forme la plus brutale d’entraver la liberté d’expression. Conformément à la Convention Américaine sur les Droits de l’Homme, qui fut ratifiée par Haïti, l’Etat a pour devoir de prévenir, d’investiguer et de sanctionner les violations des droits consacrés dans ledit instrument, incluant dans le droit à la vie et le droit à la liberté toute violation des droits reconnus ici. Le Principe 9 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression de la CIDH signale que "l’assassinat, la séquestration, l’intimidation, la menace sur les communicateurs sociaux, ainsi que la destruction matérielle des moyens de communication, constitue une violation des droits fondamentaux des personnes et entrave sérieusement la liberté d’expression".

La situation de la libre expression qui préoccupe le plus le Bureau Spécial en ce qui concerne Haïti, est celle qui correspond à l’impunité caractérisant la plupart des crimes contre des journalistes. Le Bureau Spécial doit faire remarquer que l’impunité favorise la récurrence de nouveaux crimes ainsi que des situations d’autocensure. Durant la visite, divers secteurs tant officiels que civils, se rejoignent sur la préoccupation que pose de l’impunité relative aux crimes sur des journalistes.

Dans cette perspective, le Bureau Spécial souhaiterait reconnaître la création de la Commission Indépendante d'Appui aux Enquêtes relatives aux Assassinats des Journalistes (CIAPEAJ). Cette commission créée par le Président de la République René Préval le 13 août 2007, est constituée de neuf journalistes, sera chargée de fournir une assistance aux autorités haïtiennes dans les enquêtes sur les meurtres de plusieurs journalistes survenus depuis l’an 2000.

Le Bureau Spécial considère que la création et l’appui à ladite Commission demonstre une volonté politique de l’actuel Gouvernement de faire progresser les enquêtes afin de combattre l’impunité lors des cas d’assassinats de journalistes. Le Bureau Spécial entend que la Commission dont il est question, prêtera toute la collaboration possible aux autorités haïtiennes, lesquelles restent les responsables dans la conduite des enquêtes sur les crimes et également dans l’application de sanctions pour les coupables.

Le Bureau Spécial voudrait aussi mentionner en ce qui concerne la question de l’impunité, que durant sa visite elle a reçu des informations selon lesquelles deux individus ont été jugés et condamnés à perpétuité le 30 août 2007 pour le meurtre du journaliste Jacques Roches, ci-dessus mentionné. Le Bureau Spécial fut informé qu’il s’agirait là de la première sentence condamnatoire en Haïti relative à l’assassinat d’un journaliste. Le Bureau souligne le caractère positif de cette mesure et souhaite que l’Etat continuera de prendre des mesures dans le but de garantir que les responsables de crimes sur des journalistes soient jugés et punis.


2. Législation relative les insultes, diffamation et injures a l´encontre des fonctionnaires publics

Les articles 183, 184 et 185 du Code Pénal d’Haïti disposent sur le délit de d´insultes a l´encontre des fonctionnaires publics en des termes suivants :

Article 183. Lorsque un ou plusieurs juges de l’ordre administratif ou judiciaire ou le commandant d’une commune, dans l’accomplissement ou à l’occasion de leurs fonctions, sont l’objet d´insultes en paroles ou par écrit, qui portent atteinte à leur honneur ou froissent leur sensibilité, la personne qui les insulte sera passible d´une peine de trois mois à un an de prison.

Article 184. Les insultes à l’encontre d´un juge ou un commandant de commune dans l´accomplissement de ses fonctions, proférées au moyen de gestes ou de menaces, seront passibles d´une peine entre trois mois à un an de prison.

Article 185. Les insultes à l’encontre d´un fonctionnaire ou d´un agent responsable chargé de l´ordre public dans l´accomplissement ou à l´occasion de l´exercice de ses fonctions, proférées au moyen de gestes ou de menaces, seront passibles d´une sanction allant de dix-sept à quarante Gourdes.

La CIDH a signalé que le type pénal d´insultes à l´encontre des fonctionnaires publics, lequel autorise une protection spéciale de l’honneur et de la réputation des fonctionnaires publics, est incompatible avec le droit à la libre expression prévu par l’article 13 de la Convention Américaine sur les Droits de l’Homme, vu que, dans une société démocratique les fonctionnaires publics, au lieu de jouir d’une telle protection spéciale, doivent être exposés à un degré plus élevé de critique qui rend possible plus de débat public et de contrôle démocratique en ce qui concerne leurs actes.

Le Principe 11 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression, approuvée par la CIDH en 2000, signale que: “Les fonctionnaires publics sont sujets à un plus grand contrôle de la part de la société. Les lois qui pénalisent l’expression offensive dirigée à l’encontre des fonctionnaires publics, sont connues généralement comme des lois relatives aux insultes à l´encontre des fonctionnaires publics, en atteinte contre la liberté d’expression et du droit à l’information”.

Le Bureau Spécial souligne que durant les dernières années, il y eu des cas de dérogation sur les lois relatives aux insultes proférées à l´encontre des fonctionnaires publics dans neuf pays de la région. Ceci indique une tendance positive dont doivent tenir compte les autorités des Etats où sont encore en vigueur de telles dispositions légales. Sur la base de ces considérations, le Bureau Spécial insiste auprès d’Haïti pour qu’elle fasse dérogation aux articles 183, 184 et 185 de son Code Pénal.

Dans la même perspective, le Bureau Spécial considère également important qu’Haïti modifie les articles 313, 315, 316 et 322 du Code Pénal relatifs aux types pénaux de diffamation, calomnie et injure, ainsi qu’aux normes connexes. Ceci tenant compte que conformément aux standards du système interaméricain des droits humains, il n’est pas correct que dans une société démocratique, on sanctionne pénalement les offenses à l’honneur et à la réputation résultant de la diffusion d’information sur des questions d’intérêt public. Les processus pénaux résultant de la diffusion d’information d’intérêt public démotivent les enquêtes et la discussion sur des thèmes importants pour la société et inhibent la critique, ce qui produit un impact négatif sur la démocratie.

Le Principe 10 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression indique: “[…] La protection de la réputation doit être garantie uniquement au moyen de sanctions civiles, dans les cas où la personne offensée est un fonctionnaire public ou personne publique ou bien un particulier qui est impliqué en tant que volontaire dans des questions d’intérêt public. De plus, on doit prouver entre autres cas que dans la diffusion des nouvelles, le communicateur avait l´intention d´infliger un dommage ou qu´il avait pleinement connaissance qu´il diffusait des nouvelles fausses ou qu´il s´était comporté avec une évidente négligence dans la recherche de la vérité ou bien qu´il avait falsifié ces nouvelles”.

Le Bureau Spécial observe qu’en Haïti, la plupart des procès pénaux à l’encontre des journalistes ne débouchent pas sur la privation de la liberté des concernés, mais bien sur l’intimidation du journaliste en procès et aussi sur d’autres journalistes, lesquels peuvent s’autocensurer pour éviter des procès similaires. Le Bureau Spécial souligne que les journalistes apportent un service fondamental à la démocratie, et qu’ils ont le droit d’exercer leur travail sans avoir la préoccupation d’être sujets à des peines d’emprisonnement pour cela.

En raison des considérations précédentes, le Bureau Spécial insiste auprès d’Haïti pour qu’elle modifie les articles 313, 315, 316 et 322 du Code Pénal et les normes y relatives connexes, afin d’éliminer les sanctions pénales relatives aux offenses à l’honneur ou à la réputation résultant de la diffusion d’information sur des questions d’intérêt public. La protection de l’honneur et de la réputation dans de telles suppositions doit se faire à travers le droit de rectification ou de réponse et au moyen de sanctions civiles fournies, dictées dans le procès qui tiennent en compte des paramètres du Principe 10 de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression.


3. Accès à l’information

Le Bureau Spécial a reçu des informations de la part de fonctionnaires publics, d’organisations de la société civile, de journalistes et de medias de communication au sujet du refus des fonctionnaires publics à communiquer les informations demandées, et sur la culture généralisée de la confidentialité régnant dans le pays en ce qui concerne la gestion de l’information dans les sphères du pouvoir de l’Etat.

La Bureau Spécial considère que l’approbation d’une loi en la matière, contribuera de manière décisive à faire progresser vers la solution de ce problème et à améliorer la qualité de la démocratie en Haïti.

L’accès à l’information est un droit de l’homme qui fait partie du l’article 13 de la Convention Américaine des Droits de l’Homme, lequel article garantit la liberté de pensée et d’expression. Ceci fut reconnu par la Cour Interaméricaine de Droit de l’Homme dans sa récente sentence sur le cas Claude Reyes et autres, et fut également analysé dans la récente Etude Spéciale sur le Droit d’Accès à l’Information publié récemment par le Bureau Spécial pour la Liberté d’Expression, et disponible sur la page Internet du Bureau Spécial.

A ce sujet, on trouve entre autres éléments et garanties qui doivent être pris en considération dans le régime juridique d’accès à la information : le principe de divulgation maximale, lequel principe établit la présomption que toute information est accessible, excepté lorsqu’elle est sujette à un système légitime de restrictions. Les personnes ne sont pas tenues d’avoir un intérêt direct pour obtenir une information.

En outre, en accord avec les standards mentionnés en la matière, l’Etat haïtien doit promouvoir une culture de transparence dans la société et dans le secteur public en vue de l’exercice du droit d’accès à l’information. Dans la législation traitant de ce droit on devrait envisager que l’obligation de fournir des informations doit être suffisamment ample pour impliquer tous les organes du pouvoir public et les entités privées qui remplissent des fonctions publiques.

De même, un système de restrictions d´accès à l´information doit se fonder sur les limites permises par la Convention Américaine. Pour cette raison, les restrictions doivent être clairement établies par la loi, et leurs fins doivent être légitimées en accord avec la Convention Américaine (droits ou réputation d´autrui ; sécurité nationale; ordre public; et santé ou morale publiques). Pour qu´un cas de refus de donner l´information soit considérée comme légitime, l´Etat doit répondre par écrit à la personne ou à l´institution qui la sollicite, et spécifier les motifs et fondements légaux qui justifient cette restriction.


Washington, D.C., le 4 octobre 2007


Pour de plus amples informations au sujet du Bureau : http://www.cidh.org/relatoria/

Référence : REL-178-FR