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Speeches

FELIPE GONZÁLEZ
VIII CHAIRE DES AMÉRIQUES, FELIPE GONZÁLEZ

13 septembre 2005 - Washington, DC


Merci monsieur le Président, merci à tous. Je précise avant toute chose que cette citation de Bertolt Brecht a été prise au pied de la lettre par un grand nombre de personnes, moi je parlais de la nécessité de lutter toute la vie sans rester pour autant au pouvoir toute la vie parce qu’il y a des gens qui ont pris cela à la lettre. Je vous remercie monsieur le Président, monsieur le Secrétaire Général, chers amis.

Il faut que je précise quelque chose, je ne suis pas un conférencier, les conférences m’ennuient. J’ai renoncé à faire des conférences et maintenant je donne des cours magistraux, j’étudie l’Amérique latine depuis trente ans, pendant la moitié de cette période j’ai d’ailleurs été Président du Gouvernement espagnol, mais il y a neuf ans que je n’assume plus cette fonction et je peux vous raconter une anecdote qui vous donnera une idée de ce que je pense.

Souvent on voyait à la télévision, les relations entre le Venezuela, le Mexique et l’Espagne, chaque fois que la majorité absolue avait fait que l’on avait… ( ?) à ce moment là on avait le droit à la télévision au Mexique et au Venezuela jusqu’en mille neuf cent quatre-vingt-onze quand on a été élu à l’unanimité. L’Espagne n’était pas bien connue, moi je crois que l’on ne comprend l’Espagne que quand on connaît l’Amérique latine. Ça va vous surprendre, mais il n’y a pas d’autres façons de voir l’Espagne comme le disent mes compatriotes et on ne s’entend pas : Qu’est-ce que c’est que ces autonomies espagnoles ? Est-ce que l’Espagne existe ? Est-ce qu’elle n’existe pas ? Est-ce que c’est une nation ? Est-ce que ce n’est pas une nation ? Il n’y a qu’en Amérique latine qu’on comprend ce que c’est, l’Espagne. Voilà pourquoi nous partageons quelque chose de très important qui est ce problème d’identité, je vous remercie monsieur le Président de vos paroles aimables, je ne sais pas si je le mérite vraiment. Quand vous parlez de mon souci pour le Moyen Orient qui est effectivement un souci réel, je me rappelle, il y a quelques années, je disais que la crise énergétique allait être une crise de l’offre, et puis il y a eu le conflit avec l’Irak, il y a eu les tensions au Nigeria et quelquefois même au Venezuela.
J’ai vu que cela ne résolvait pas le problème de fond et pour la première fois dans l’histoire contemporaine de l’humanité je m’aperçois qu’il est évident qu’il n’y aura pas de capacité d’offre pour répondre à la demande croissante si la collectivité mondiale continue à enregistrer des taux de croissance comme elle le fait à l’heure actuelle. Il faudra parler évidemment des taux de croissance de la Chine, il n’y aura pas suffisamment de ressources énergétiques pour satisfaire cette demande et une crise énergétique n’est pas le seul problème, cela ne pose pas seulement des problèmes de tensions, cela entraîne des problèmes d’intégration régionale, cela cause des problèmes et cela crée surtout des tensions internationales et de grands conflits.

Et on ne le voit pas de cette manière, on voit bien qu’aujourd’hui le baril de pétrole à quatre-vingts, à soixante dollars crée des difficultés mais ce n’est pas comme cela que l’on résoudra le problème, il est certain qu’il n’y aura pas moyen de retrouver une solution sur le plan énergétique à moins qu’il y ait un crack mondial et souhaitons que cela ne se produise pas. Je pense à la Perse, je pense à l’Iran, je me suis rendu tout dernièrement en Iran, je me suis rendu à Tel-Aviv et on m’a dit dans ce pays : « Heureusement que nous sommes le Moyen Orient parce qu’imaginez quelles seraient nos difficultés si nous étions l’Orient tout entier ! »

J’ai renoué les relations diplomatiques avec ce pays, cela va faire bientôt vingt ans, et il n’y avait pas de relation diplomatique avec ce pays. Lors de la deuxième crise pétrolière, lorsqu’il y a eu le deuxième choc pétrolier, on avait atteint les quatre-vingts dollars par baril, on n’arrive pas encore à ce taux, mais c’est ce qui s’est passé en valeur constante des monnaies, c’était exactement ce à quoi on devait faire face pendant le deuxième choc pétrolier.

C’est le moment où j’ai renoué, pour mon pays, les relations diplomatiques avec Israël, pour moi ce n’est pas une fin c’est un instrument, quand j’ai pu me libérer du pouvoir, cela fait quatorze ans que j’ai été Président du Gouvernement, j’ai décidé que je ne retournerais pas au statu quo an te, et ces relations renouées avec Israël avaient, pour moi une valeur symbolique, mais les symboles ont leur importance, en mille neuf cent quatre-vingt-deux j’ai mis fin au décret d’exclusion des Juifs que, cinq cents ans auparavant, les Rois Catholiques avaient dictés contre les Juifs.

Je me suis permis le luxe de déroger un ce décret, qui bien sûr ne servait plus à rien. Mais quel bonheur cela m’a procuré ! Cinq cents ans plus tard comme si l’église catholique reconnaissait publiquement. Je sais qu’elle le reconnaît également, j’ai dérogé ce décret et j’en suis très fier, je ne vais pas vous faire une conférence sur la question, je vais vous parler un petit peu de tout ce qui m’intéresse, de tout ce qui me préoccupe, moi je ne vois pas l’Amérique de loin de l’Europe, non, non, je la vois en me plaçant en son centre, dans cette perspective il y a peu de temps encore, le Président Buton Betancourt lors d’une réunion dirigeant et ami me disait : « Pourquoi tu ne demandes pas qu’on te représente… on te demande de représenter l’Union européenne en Amérique latine ? » J’ai dit : « Non, je n’accepterais pas. » Il était surpris et je lui ai dit : « Moi, ce que j’aimerais c’est que l’Amérique latine me demande d’être représentant de l’Amérique latine auprès de l’Union européenne parce que ce serait la première fois que l’Amérique latine se mettrait d’accord collectivement pour décider quelque chose », et il ne s’agit pas seulement de se mettre d’accord pour se protéger d’une agression, il s’agit de faire autre chose dans ce cas là. Je vous dis tout cela de façon très simple pour que vous puissiez comprendre, je ne sais pas l’anglais, je suis un analphabète parfait, mon cerveau fonctionne de façon analogique, je n’ai pas encore atteint le fonctionnement dit numérique, il faut que je traduise encore, et j’ai des questions qui me préoccupent et qui restent fondamentales.

Le débat latino-américain ces dernières années n’a parlé que de reforme économique, on a parlé de beaucoup de reformes économiques et le produit intérieur brut s’est accru plus encore que la population, on ne peut pas dire qu’il s’est accru en vingt-cinq ans, moi je vous parle de la région, je ne vous parle pas des exceptions qui existent comme partout. A la différence de ces vingt-cinq dernières années, il y a eu ce succès que nous avons remporté, eh bien ! malgré ces succès remportés sur le plan économique, l’inégalité va croissant. Et pourtant c’est une époque qui a bien marqué le renouveau de l’espoir en l’Amérique latine parce qu’aujourd’hui c’est la règle, il y a la démocratie en Amérique latine. Bien sûr il y a des exceptions, Antonio Machado disait lui-même qu’il n’y a pas de règles sans exceptions, comme quoi l’exception confirme la règle, mais si nous poussons la logique à son extrême, une règle très confirmée signifie qu’il doit y avoir encore plus de règles et s’il doit y avoir des règles en Amérique latine c’est bien la démocratie, mais il y a toujours la logique qui nous trahit en nous disant qu’il y a une exception. Mais c’est une région du monde qui se spécialise dans la démocratie généralisée et qui a fait échec, qui malheureusement échoue devant les défis économiques de décennie en décennie. Alors il faut se demander ce qui nous sépare, nous qui avons les mêmes démons, nous qui sommes espagnols et vous qui êtes latino-américains, comment cela se fait-il ?

Je ne peux m’empêcher de me rappeler que quand j’ai pris mes fonctions, là il y a un petit truc qu’il faut que je vous raconte parce que les dollars de l’époque ne valent pas ce qu’il valent à présent, mais il y avait trois mille cinq cent dollars de produit par capital. Aujourd’hui on en est a vingt-quatre mille et la répartition en Espagne est bien meilleure qu’elle ne l’était à l’époque.

Quand j’ai quitté le gouvernement espagnol, je ne veux pas tirer de la fierté des chiffres mais je veux parler de cette capacité qu’a généré l’Espagne nous permettant de nous rendre compte qu’elle pouvait faire mieux que les Allemands, que les Français. Nous qui n’avions jamais rien fait, et où se trouve la différence ? En fait, nous n’avions pas confiance en nous, nous ne savions pas que nous en étions capables. Aujourd’hui, je peux vous dire que nous n’avons pas découvert de pétrole, c’est un véritable châtiment, manifestement si on n’a pas de pétrole il n’y a pas de développement socioéconomique, il y a le modèle de la Norvège, nous en Amérique latine ou en Afrique, nous nous sommes aperçus que même sans pétrole il est possible de changer les choses et mon pays a changé, et je crois que c’est là l’essentiel.
Alors, j’entends aujourd’hui ce débat sur la démocratie en Amérique latine et on dit que la démocratie a échoué, les gens de ma tribu, idéologie de gauche, n’acceptent pas cela, la démocratie n’est pas une idéologie, la démocratie n’a pas échoué, la démocratie ne garantit pas à court terme un bon gouvernement, ce qu’elle garantit c’est que l’on peut se débarrasser du gouvernement qui ne nous plaît pas et ce n’est pas là la moindre chose. Est-ce que la dictature garantit qu’elle fasse bien ou qu’elle fasse mal ? Elle a d’ailleurs l’habitude d’occasionner et de créer beaucoup de dégâts, pas la démocratie qui garantit un terme, un bon gouvernement, parce qu’il est possible de se débarrasser d’une démocratie qui ne fonctionne pas, ce n’est pas une question d’idéologie, moi j’ai toujours lutté pour la démocratie, José Miguel Insulza nous disait tout à l’heure, que j’ai toujours été modéré, et que c’était un défaut que j’avais, comme je n’ai cessé de l’être, comme j’ai toujours été modéré, maintenant que je suis plus vieux je suis modéré, c’est ce qui se passe généralement, les révolutionnaires en vieillissant deviennent plus calmes, moi non, j’ai toujours été modéré et je trouve qu’en Amérique latine il faut obtenir qu’il y ait plus de démocratie, c’est-à-dire que la démocratie soit plus efficace, plus compétente, plus capable de répondre aux besoins des uns et des autres, plus transparente aussi, qu’il y ait plus de démocratie, et qu’il y ait plus de développement aussi, car au cours des dernières années lorsque j’ai quitté le gouvernement on me demandait : « Et pourquoi l’Espagne est passée à cela ? Et pourquoi elle a laissé tomber cela ? Et pourquoi elle s’est modernisée ? », j’avais l’avantage d’avoir les cheveux blancs mais j’avais vu l’Espagne il y a trente ans et je me rends compte que quelque chose a changé, quelque chose qui a changé radicalement dans mon pays.

A ceci s’ajoute le fait, puisqu’on voit que je suis plutôt rouge, j’appartiens au parti socialiste, il ne faut pas exagérer, la priorité de mon parti, on me dit : « Mais pourquoi vous ne parlez pas de la croissance économique ? », « Pourquoi vous ne parlez pas d’équité sociale ? » et ça m’arrive tout le temps quand je me rends au Chili. Les chefs d’entreprises chiliens qui sont des chefs très idéologiques et j’ai parlé …, ils aiment bien Ricardo Lagos mais ils sont tout le temps en train de voter à droite, ils me disent … Je fais de la politique institutionnelle, je ne dis pas à la gauche ce qu’elle a besoin d’entendre ni à la droite ce qu’elle a besoin… Je dis à tout le monde ce que je pense et cela fait que j’assume beaucoup de risques surtout quand je me rends au Mexique où on me qualifie de cachupin (Espagnol établi en Amérique latine).

On m’invite à parler de la démocratie et du développement, de présence économique et d’équité et les chiffres sont, ces chiffres que je vous ai donnés cela fait vingt-cinq ans que le PIB par habitant n’augmente pas de plus d’un demi point, mais il est très mal distribué, je ne dis pas que c’est le pire continent du monde, c’est le plus inégal, dire qu’il se conçoit comme le plus pauvre serait faut. L’Afrique connaît une pauvreté qui est considérable. Non, ce qui se passe en Amérique latine c’est une mauvaise distribution, le produit de la croissance est mal distribué.

Alors quand on m’invite à dire ce que je pense, je dis : «Je ne veux pas parler d’équité sociale ni de croissance, je veux parler de croissance économique mais je veux parler aussi de redistribution des revenus », parce que si on veut que je parle de la croissance économique comme d’un problème technique et de la redistribution des revenus comme d’un problème moral, à ce moment-là on me tend un piège. Quand on me demande de parler d’équité, je disais à ces industriels chiliens que je n’ai pas plus d’autorité morale que le Pape, alors je vais laisser le Pape parler, je vais laisser le Pape parler d’une question morale et moi je vais vous parler de redistribution de revenus parce que, après avoir abordé cette époque de rigorisme, on arrive à l’époque du populisme et ce sont là les effets pervers de la politique.

En politique il faut être pragmatique, c’est un péché en Amérique latine que de parler de pragmatisme aujourd’hui, on dirait que c’est là, renoncer à des idées fondamentales et si on revient aux temps anciens, on s’apercevra que le pragmatique c’est celui qui est capable de transformer le rêve en réalité et non pas celui qui a des idées qui ne vont jamais se transformer en réalité, ce dernier c’est un utopiste, un vétéran qui ne va jamais transformer la réalité de son pays. Et quelquefois je me dis, mais alors s’ils sont à ce point pragmatiques malgré tous ces contrecoups, tous ces chocs avec l’Amérique du Nord, c’est vrai les États Unis sont pragmatiques, leur politique économique, leur idéologie, ils la laissent au vestiaire, ils sont pragmatiques, il ne faut pas exagérer mais c’est ce qu’ils font. Et quand ils peuvent dégager des excédants ils le font, ils mènent des politiques économiques pragmatiques et en plus de cela, ils ont des matchs comme monsieur Ruedspan, qui malheureusement va prendre sa retraite, et nous, nous nous perdons dans des débats idéologiques et il faut à tout prix sortir de ce piège pour trouver la voie du développement.

Pour développer un pays on ne manque pas d’idées, chaque fois que je réfléchis aux possibilités de développement de l’Amérique et quand je vois son déficit en infrastructure de base pour le développement, je me rends compte que chaque projet qui doit être mis en œuvre, avait déjà été envisagé par la CEPAL il y a vingt-cinq ans. Ils sont là, couchés sur le papier, ils sont dans les dossiers de la BID, de la Banque mondiale, consignés dans les documents en Amérique latine. Mais le problème c’est que personne n’est passé des muses au théâtre, personne n’a transformé cela en projet viable, opérationnel, personne, j’exagère, comme chaque fois qu’on fait des conférences de ce type on peut toujours mettre un peu trop d’emphase, mais la démocratie plus l’efficacité c’est ce qu’il nous faut, il ne faut pas vouloir que la démocratie soit une idéologie.

Moi j’ai été un démocrate toute ma vie, je ne suis pas un idéologue. Ce n’est pas que je détestais ce que proposait Franco, j’avais simplement des convictions démocratiques, et aujourd’hui je vois les convertis qui font de la démocratie une arme rouge, alors que ce n’est qu’un instrument de bonne gouvernance et de coexistence pacifique, souhait perfectible, simplement on ne veut pas perfectionner cet instrument de Rio jusqu’à la Patagonie. On voit des multitudes de gouvernements en Amérique Latine qui ont des présidents qui remportent les élections tout à fait légitimes à la majorité absolue et qui n’ont pas plus de dix pour cent de représentation parlementaire.
Tout est mal synchronisé. L’année dernière, en Amérique latine, j’ai vu le Président Leonel FERNANDEZ gagner clairement les élections contre le Président HIPOLITO qui était mon ami, ainsi que Leonel FERNANDEZ. Et pourtant quand il commença à gouverner, il le fit légitimement, vraiment légitimement. Et il devait réaliser des réformes au parlement avec le PRD ayant 33 membres ; 22 du parti qui venait tout juste de gagner les élections, deux du PRD et deux d’autres partis d’opposition. Alors je vous dis : Comment pouvez-vous faire une réforme fiscale dans ces conditions quand vous avez un mandat si limité ? Donc, nous avons un problème avec le fonctionnement de notre démocratie. Je suis très inquiet par le fait que quand une politique ne réussit pas, les gens (des hommes politiques très bien formés, très savants) disent que le système présidentiel ne marche pas, ne fonctionne pas. Nous avons besoin d’avoir un système parlementaire. Peut-être que c’est uniquement le président au pouvoir qui ne marche pas mais le présidentialisme et le parlementarisme sont deux versions de la démocratie et les deux peuvent être complètement satisfaisantes ou totalement insatisfaisantes. Nous avons plusieurs problèmes avec la gouvernabilité. Nous avons été un peu distraits depuis la crise des années quatre-vingts. Nous avons été distraits par des réformes économiques et nous avons ignoré le fonctionnement de nos institutions. En Equateur, le Président GUTIERREZ, qui est le quatrième président, au cours des dix dernières années, est arrivé au pouvoir avec six députés de son parti parmi les cent au parlement. Et aussi présidentiel que soit le système s’il a un si petit groupe de parlementaires qui le soutiennent, d’une manière ou d’une autre, il devra abandonner ses fonctions. Donc nous avons une crise dans nos institutions démocratiques et peut-être nous avons besoin de nettoyer quelques-unes des toiles d’araignée à l’intérieur de nos têtes. Il y a eu tant d’années d’autoritarisme, que j’ai vécues dans mon propre pays ; j’ai vécu plus de la moitié de ma vie sous un dictateur, donc je comprends que nous continuons à avoir de l’autoritarisme même si nous prétendons que non. Nous avons deux visages ; le visage physique et le légal, et nous ne nous risquons pas à exercer notre autorité ni à changer le système de façon à ce que la vision du pouvoir soit en général celle d’un pouvoir efficient et qui garantisse la sécurité. Il n’existe pas de liberté sans sécurité. Vous ne pouvez pas vous sentir libre si vous vous sentez en danger. Si vous ne pouvez pas vous sentir en sécurité dans la rue, si vous ne vous sentez pas sûr que le système légal peut vous protéger, vous ne pourrez pas avoir de liberté. Ces réformes doivent avoir lieu avant ou pendant tout changement économique réussi. Vous pouvez avoir bien défini une politique économique mais elle n’aura pas de succès à moins que vous ayez de bonnes institutions démocratiques. Et si vous n’avez pas ceci, vous n’aurez pas un bon développement soutenable à long terme. Et en termes de développement, je viens de vous parler de ce qui m’inquiète. On m’avait demandé de parler de l’équité sociale, de la lutte contre la pauvreté et des problèmes moraux. Oui, c’est vrai, mais c’est aussi un problème économique. En Amérique latine, il n’y aura pas de développement, pas de pertinence, et pas de développement économique important tant que le niveau de pauvreté existant continue. Quelques gens diront : bon, la pauvreté n’est pas une bonne affaire si vous voulez faire de l’Amérique latine un continent viable, vous ne pouvez pas avoir tant de millions de personnes sans accès au marché ou au sein du marché de façon marginale. Et compte tenu de ceci j’ai déjà parlé du fait d’être pragmatique en matière de politique économique. Je suis fatigué des gens qui disent bon, d’abord nous devons accumuler de l’épargne et du capital pendant les périodes de croissance. Et ensuite, seulement quand nous aurons suffisamment de capital, nous pourrons commencer à le distribuer au compte-gouttes et une fois que la table sera bien garnie, les surplus tomberont et dégoulineront sur les gens qui vivent dans la misère. Mais avant que nous atteignions cette période, bien sûr, il se produit normalement une crise. Donc nous ne distribuons pas de revenu parce que premièrement, nous avons besoin de continuer à accumuler du capital. Mais à ce moment-là la crise surgit. Nous disons non, pendant la période de crise nous ne pouvons pas "pré-distribuer", donc nous passons vingt-cinq ans avec une redistribution des revenus négative et de nouveau, permettez-moi d’insister sur le fait que le revenu et la "pré-distribution" sont importants. La gauche parle de la redistribution de la richesse et vous connaissez le problème des partisans de la gauche. Ils envisagent de distribuer la richesse entre eux mais ne sont pas vraiment préoccupés de savoir comment cette richesse peut être produite. Et l’extrême droite, les conservateurs, sont très préoccupés par le fait de créer de la richesse mais ne trouvent jamais le moment approprié pour redistribuer les surplus. Je pense que c’est une tragédie pour le développement car vous avez besoin de croissance et aussi de redistribution. Et étant donné le panorama actuel de globalisation, nous n’allons pas être capables de redistribuer directement à travers des salaires bien que nous devrions investir pour créer des emplois. Mais la compétition sud-sud ne va pas permettre que les salaires augmentent et servent de moyen direct de redistribution du revenu, et ceci ne nous aidera pas à équilibrer les revenus. Donc la POLITIQUE avec un grand P doit provoquer une redistribution du revenu depuis l’Etat correspondant, en fournissant les services de santé de base, l’éducation, des opportunités égales d’accès aux services publics que l’Etat peut fournir, et doit développer les mécanismes de redistribution indirecte qui ne portent pas atteinte à la compétitivité de leurs entreprises dans l’économie, et pourtant sont indispensables pour dégager ces revenus, ces ressources des gens qui ont un travail et peuvent alors accéder au marché. Ceci n’est pas une grande découverte ; c’est élémentaire, comme je le disais l’autre soir. Quelqu’un a dit que c’est des choses les plus sérieuses dont nous devons rire, et qu’il faut dire les choses sans importance d’une façon solennelle parce que sinon les gens se rendront compte que c’est une bêtise. Donc, ayons un peu d’humour. GRANCCHI, un révolutionnaire italien, qui se disait communiste… Vous souvenez-vous de lui ? Il disait qu’il était un optimiste par sa volonté mais un pessimiste par son intelligence. Alors, il a pu voir la volonté des révolutionnaires communistes et il a senti que c’était la machine pour changer l’histoire, mais son intelligence lui a dit que cela ne marcherait pas. Mais aujourd’hui nous avons le défi inverse : l’intelligence nous permet de voir ni de nous rendre compte que l’Amérique latine peut avoir ou a des réponses économiques et démocratiques à sa portée. Mais quand nous pensons à la volonté, nous n’avons pas la volonté de le faire, de faire ce qui est nécessaire pour que les choses changent. Il n’y a pas de volonté dans chacun pour établir les accords nationaux, pour joindre nos efforts, pour ne pas idéaliser ceci qui ne devrait pas être une idéologie. Nous avons besoin de créer un consensus, nous avons besoin de mettre en œuvre des politiques qui bénéficient des gens au lieu de continuer à dire ce que les hommes politiques aiment dire et qui est ceci : ce que vous êtes en train de faire maintenant ne vous maintiendra pas au pouvoir, cela ne vous aidera pas, au lieu de penser si cela va aider les gens ou non parce que si cela vous aide ou non est sans importance. C’est comme le médecin qui dit : Ce que vous proposez au patient n’est pas bon pour vous en tant que médecin. Bon, ceci n’est pas important. Mon travail en tant que médecin est de dire au patient ce qui est bon pour lui, non pas ce qui est bon pour moi. C’est pourquoi nous sommes exaspérés par cette situation aujourd’hui. J’ai commencé en parlant de l’essence et je vais finir en parlant de l’énergie. L’Amérique latine doit développer une infrastructure qui constitue un goulet d’étranglement pour son développement. Mais nous avons besoin de développer les télécommunications, nous avons besoin de développer l’énergie, nous avons besoin de développer l’eau. Si l’Amérique latine ne développe pas ces infrastructures, et ne forme pas ses habitants de manière à ce qu’ils soient compétitifs dans cette société de savoir ou société digitale ou comme vous voudrez bien l’appeler, il n’y aura plus aucune opportunité. Mais si vous ne développez pas vos infrastructures de base, celles qui ont figuré sur les documents du CEPAL et de l’ECLA pendant les vingt dernières années et qui continuent d’y figurer ne connaîtront jamais aucun développement. Vous êtes actuellement une région privilégiée en termes d’énergie. Quand vous vous penchez sur Katrina qui diminue l’approvisionnement de dix pour cent et ceci a un impact économique gigantesque, et ensuite vous pensez au montant et à la quantité d’énergie que renferme ce continent, aussi bien renouvelable que non renouvelable d’après nos analystes. Si vous regardez l’énergie dans notre continent, l’énergie existe partout mais je me concentre sur ce pays. L’énergie est une donnée stratégique pour le développement et c’est une donnée stratégique capitale pour l’intégration régionale. Nous désespérons de dire qu’il n’existe pas de rapport concernant l’énergie entre les pays qui ont un surplus d’énergie et ne sont pas en train de l’exploiter ou l’exploitent d’une façon déficiente, et les pays qui peuvent se développer et n’ont pas suffisamment d’énergie ou ont un réseau insuffisant. C’est donc une donnée stratégique qui est vitale pour l’intégration économique. Nous ne pouvons pas perdre de temps si nous avons besoin de l’investissement nécessaire qui permette d’extraire ou de développer nos ressources en énergie. C’est également une donnée stratégique qui est capitale pour notre intérêt international, en d’autres termes, pour la paix. L’Amérique latine n’est pas une menace et est encore moins compétante dans le monde d’aujourd’hui. Mais sa pertinence est due au fait qu’elle ne représente pas une menace mais qu’elle sait ce qu’elle doit faire avec ses propres ressources, avec sa propre force. Maintenant, il y a une question que j’aimerais poser à ceux qui pensent de la même façon que moi, c’est-à-dire, à la gauche. Vu l’épargne du Gouvernement, l’épargne publique, l’Etat ou le Gouvernement dans l’immédiat n’a pas la capacité de développer ni de remplir ses fonctions, c’est-à-dire fournir la justice, la sécurité, l’éducation de base et la santé de base. Il ne sera pas capable de fournir ceci mais il a une capacité économique suffisante pour développer les infrastructures dont a besoin l’Amérique latine. Donc, elle devra recourir à n’importe quelle épargne disponible, où qu’elle puisse la trouver. Et toute l’épargne disponible se trouve entre des mains privées. La mission de l’Etat est donc et continuera d’être une fonction de régulation. Ainsi, l’Etat devra se faire attrayant vis-à-vis de l’épargne privée. Il doit fournir un cadre légal qui permettra aux projets d’investissement en infrastructures d’être viables. Se résigner soi-même au fait que l’énergie n’atteindra pas les habitants parce que c’est une tâche pour l’Etat. Se résigner soi-même au fait que boire de l’eau n’est pas à leur portée car idéologiquement ceci peut uniquement être fait par l’Etat est une erreur énorme et dramatique. C’est une idéologie semblable qui nie la capacité qu’a ce continent de changer. Je sais que j’ai parlé pendant trop longtemps, mais croyez-moi, maintenant que Clinton nous réunira tous à New York pour discuter sur les défis de la globalisation et que nous avons concentré notre attention sur l’Amérique latine, je voudrais dire que le diagnostic pour l’Amérique latine peut être résumé en deux mots : pas plus de démocratie, en termes de "démocratite", mais plus de démocratie qui soit bien plus efficiente, bien plus transparente. Une démocratie qui se concentre plus à servir le citoyen qu’à servir les leaders. A moins que nous réalisions ces réformes démocratiques dont a besoin l’Amérique latine, toute réforme économique sera une réforme virtuelle mais non pas une réforme réelle. Elle demeurera dans les livres d’école, mais elle ne sera jamais mise en marche dans chacun des pays de notre région. Mais nous avons besoin d’avoir plus de développement. Dans les pays d’Asie du sud-est, pays qui sont en train de connaître un boom, et où les gens disent qu’ils ont plus de conditions pour le développement ; en réalité ils ont moins d’opportunités. La Chine doit acheter la plupart de son essence à l’étranger, par exemple, et pourtant elle se développe, elle se développe, elle est en train de prendre vingt ou trente ans d’avance et nous ne pouvons pas le lui reprocher. C’est une bénédiction car cela arrange le problème d’un quart de l’humanité et en dix ans, comme cela arriva quinze ans auparavant, quand nous avons vu les Japonais prendre des photos partout dans le monde. Dans dix ans, nous verrons les Chinois prendre des photos partout dans le monde. La seule différence est qu’ils sont bien plus nombreux. Il y aura des millions de Chinois avec des appareils photos qui sortiront des ascenseurs dans les hôtels et ils seront des consommateurs majeurs dans un marché global, pas uniquement dans un marché interne. Je ne suis donc pas apeuré par ce phénomène. Au lieu de cela donnons la bienvenue aux Chinois. Mais si eux peuvent le faire, pourquoi l’Amérique latine ne peut-elle pas le faire ? Il n’y a pas de raison pour que l’Amérique latine ne puisse pas le faire. Eux ont commencé à un niveau bien plus bas, à un point bien plus bas, donc pourquoi est-ce que l’Amérique latine ne peut-elle pas démarrer et se développer et connaître un développement soutenable ? Mais nous avons besoin d’avoir des politiques qui favorisent l’investissement et l’emploi. Une chose est de le dire et une autre est d’engager une réforme fiscale qui ne contredise pas les besoins en investissement et emploi. Nous les hommes politiques avons également besoin de savoir qu’une réforme fiscale doit avoir deux objectifs : le premier, une priorité nationale puis percevoir les impôts, et en ce qui concerne les autres objectifs, le reste, vous trouverez d’énormes contradictions et cela ralentira l’investissement et ralentira la création d’emplois. Le second objectif est de développer les infrastructures fiscales et les infrastructures humaines. Quant aux infrastructures de capital fiscal l’Amérique latine n’a pas d’argent. Mais nous devons faire appel au capital privé avec le cadre légal adéquat et la volonté politique qui permettra à l’investissement de conduire au développement de ces infrastructures. Autrement, cela n’arrivera pas. Et nous devons compter sur les autres données stratégiques : l’une d’elles est l’énergie, comme je l’ai dit précédemment, mais la seconde donnée la plus importante pour le développement sont ses êtres humains, les hommes et femmes de l’Amérique latine. Quand je vois qu’en Equateur 25% de la population a moins de 35 ans et qu’ils quittent le pays depuis une période de quatre ans et demi, il ne s’agit pas seulement d’un exode biblique, mais c’est le problème d’une hémorragie de capital humain qu’il est très difficile de soigner par la suite. Et si ceci arrivait dans mon pays je dirais qu’entre 2000 et 2005 huit millions et demi d’Espagnols de moins de trente-cinq ont quitté mon pays. C’est l’équivalent. Le capital humain est une donnée stratégique fondamentale. Les hommes et les femmes sont ceux à qui les hommes politiques doivent donner la priorité et leur attention parce que le développement soutenable à moyen et long terme en Amérique latine dépend d’eux. Donc qu’elle est la conclusion que nous pouvons tirer ? Quelques-uns disent que je suis un pessimiste, d’autres un optimiste. Je suis un optimiste prudent. Mais je reste un optimiste. Je pense parfois que nous savons ce que nous devons faire mais que nous n’avons pas la volonté de le faire. Et j’ai souvent vu qu’il y a plusieurs autres personnes qui comprennent ce que j’ai dit. Ils ont la possibilité de le faire mais cependant ils ne le font pas. Et j’aimerais essayer et au moins convaincre ceux qui sont au pouvoir de le faire. C’est à eux de provoquer ce changement. Et je crois qu’ensemble nous pouvons tous le faire.