Communiqué de presse

La CIDH appelle les États à garantir les droits des personnes LGBTI dans le cadre de leur réponse à la pandémie du COVID-19

20 avril 2020

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Washington, D.C. - La Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), dans le cadre des actions de sa Salle de coordination et de réponse opportune et intégrée à la crise en relation avec la pandémie du COVID-19 (SACROI COVID-10), appelle les États à s’assurer que les mesures d’assistance et de confinement adoptées garantissent les droits à l’égalité et à la non-discrimination des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans et intersexes (LGBTI). En particulier, ces mesures devraient faciliter l’accès aux personnes LGBTI à des services de santé des programmes sociaux dans une perspective de sécurité humaine intégrale.

La CIDH est préoccupée par le fait que certaines des dispositions prises par les États de la région en réponse à la pandémie peuvent comporter des risques pour les droits des personnes LGBTI ou perçues comme telles, et conduire à des actes de discrimination et de violence fondés sur des préjugés. Dans ce cadre, la Commission a été informée de mesures prises par certains États visant à établir des journées spécifiques pour la libre circulation des personnes, en faisant des distinctions entre les femmes des hommes, ce qui en soi est discriminatoire à l’égard des personnes trans et de genre divers, et peut engendrer d’autres actes de cette nature.

De manière générale, ces mesures de confinement n’établissent pas de protocoles clairs pour la circulation de ces personnes, ni de directives pour l’action des forces de sécurité dans les cas où les documents d’identité personnels ne correspondent pas à l’identité ou à l’expression de genre des personnes. La Commission note, par exemple, que le Décret Suprême no 057-2020-PCM du Pérou a prorogé l’état d’urgence et établit des jours spécifiques pour la circulation des femmes et des hommes. Bien que ce décret (qui a ensuite été abrogé le 11 avril 2020) contenait une clause interdisant la discrimination, il ne prévoyait pas le respect de l’identité et/ou de l’expression de genre. Malgré des clarifications réalisées par des autorités à l’effet que les personnes trans ne devraient pas faire l’objet de discrimination dans ce contexte, des actes préoccupants ont été commis pendant que ce décret était en vigueur.

À cet égard, la Commission a noté avec consternation que des femmes trans détenues au Pérou conformément à ce décret ont été victimes de violences physiques et verbales de la part d’agents des forces de l’ordre. Certaines d’entre elles ont même été obligées de répéter des phrases niant leur identité de genre auto-perçues en affirmant par exemple : « je veux être un homme ».

De même, la CIDH a été informée qu’au Panama une femme trans défenseure des droits humains a été arrêtée par la police alors qu’elle livrait des provisions alimentaires à des personnes en situation de pauvreté. Son arrestation a eu lieu un jour réservé à la circulation des femmes, car sa carte d’identité correspondait au genre masculin. Bien qu’elle ait expliqué aux autorités son identité et son expression de genre, la femme a été jugée devant les tribunaux et condamnée à une amende de 50 dollars.

La Commission a déclaré à plusieurs reprises que la police et d’autres forces de sécurité des États de la région adoptent souvent les mêmes attitudes et préjugés à l’égard des personnes LGBTI que ceux qui prévalent dans la société en général. Au regard des fonctions exercées par la police et d’autres forces de sécurité pendant la période de mise en œuvre des mesures de confinement, la CIDH appelle les États à adopter des politiques de sensibilisation destinées aux forces de l’ordre et aux autorités judiciaires en matière d’identité et d’expression de genre qui tiennent compte du fait que les personnes trans et de genre divers ne disposent généralement pas d’un document d’identification personnel reflétant de manière adéquate leur identité et/ou expression de genre.

La Commission appelle également les États à émettre des déclarations publiques pour dénoncer de manière catégorique tout acte de discrimination fondé sur l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre perpétré par des forces de sécurité dans le cadre de leurs interventions auprès de civils. En ce qui concerne des plaintes relatives à des actes de violence ou de discrimination à l’encontre de personnes LGBTI ou perçues comme telles, la Commission rappelle aux États leur devoir de diligence raisonnable dans la conduite d’enquêtes et de procédures, tant judiciaires qu’administratives, qui devraient mener à la sanction des conduites dénoncées. À cet égard, la CIDH salue les enquêtes menées par la police nationale péruvienne qui ont abouti à des sanctions à l’encontre d’agents impliqués dans certains actes de discrimination à l’égard de personnes trans, et exhorte l’État à continuer à déployer des efforts en la matière. En outre, la CIDH note que les mesures de circulation différenciée ont été abrogées au Pérou, n’ayant pas atteint leur objectif distanciation sociale.

En outre, la Commission réitère sa recommandation de garantir l’existence de mécanismes juridiques simples et rapides permettant à toute personne d’enregistrer et/ou de changer, de rectifier ou d’adapter son nom et les autres éléments essentiels de son identité tels que l’image, ou la référence au sexe ou au genre, et ce, de manière prioritaire pendant la pandémie.

Par ailleurs, la Commission a attiré l’attention des États à plusieurs reprises sur la situation de pauvreté de personnes LGBTI caractérisée par l’exclusion sociale. Un taux élevé de ces personnes ne dispose pas de logement. Cette situation les mène vers l’économie informelle et le travail du sexe. Les personnes trans, en particulier, sont confrontées à une situation d’exclusion accrue d’accès à des opportunités économiques, des programmes de protection sociale et des services de santé. À cet égard, la CIDH a reçu des informations à l’effet que des femmes trans et travailleuses du sexe poursuivent leurs activités en l’absence d’autres sources de revenus malgré le contexte d’endiguement du COVID-19.

La Commission a reçu de l’information à l’effet qu’en raison de mesures d’urgence sanitaires adoptées et visant la suspension de l’offre de certains services d’hébergement, des femmes trans de Mexico ont été expulsées d’hôtels où elles vivaient et exerçaient leur métier de travailleuses du sexe. Cette mesure les a laissées sans logement et donc dans une situation de grande vulnérabilité. Cependant, au regard des informations fournies par l’État de Mexico, la CIDH prend note des mesures prises par le ministère de l’Inclusion et du Bien-être Social, en collaboration avec l’administration de la ville de Mexico, pour la prise en charge et la protection des populations qui se trouvent dans des conditions particulières de vulnérabilité, dont des aides économiques pour les travailleuses du sexe et les personnes sans logement.

Par ailleurs, la Commission prend note que les personnes LGBTI qui ont formé des cellules familiales ne bénéficient souvent pas de la reconnaissance juridique garantissant le contrôle de leurs ressources économiques ou l’accès aux prestations de sécurité sociale. En outre, la CIDH souligne que les personnes âgées LGBTI ne sont souvent pas prises en compte dans l’élaboration de politiques sociales, ce qui accroît leur vulnérabilité pendant la pandémie.

Compte tenu de ce qui précède, la Commission demande aux États de garantir l’accès des personnes LGBTI aux programmes de protection sociale dans une perspective de sécurité humaine globale. En particulier, la CIDH appelle les États à garantir un refuge sécuritaire, l’accès à la nourriture et aux médicaments pour les personnes LGBTI vivant dans la rue, en tenant compte des femmes trans qui exercent un travail sexuel. En outre, la Commission appelle les États à inclure les personnes LGBTI comme bénéficiaires des d’éventuelles mesures de relance économique adoptées pour atténuer les impacts du COVID-19.

En ce qui concerne l’accès aux services de santé, selon des rapports reçus par la CIDH, les personnes LGBTI qui cherchent des soins médicaux dans plusieurs États membres de l’OEA sont victimes de mauvais traitements, d’harcèlement, de violence physique de la part de professionnels de la santé qui refusent en outre de leur offrir des soins médicaux nécessaires. À cet égard, la Commission prend note avec préoccupation des informations selon lesquelles des hôpitaux appartenant à ou administrés par des groupes religieux refuseraient l’accès à des traitements contre le COVID-19 aux personnes d’orientation sexuelle et d’identité et/ou d’expression de genre diverses.

En outre, la Commission prend note que les personnes susceptibles d’avoir un système immunitaire plus fragile, y compris les personnes LGBTI vivant avec le VIH ou ayant développé le SIDA, peuvent être touchées par le coronavirus si l’accès aux médicaments antirétroviraux ne leur est pas garanti de manière ininterrompue pendant la pandémie. Par ailleurs, la CIDH prend note que, dans certains États de la région, les hommes homosexuels et bisexuels qui souhaitent faire des dons de sang se heurtent à des restrictions, ce qui a un impact négatif sur le système de santé en général.

Pendant la pandémie, la Commission appelle les États à garantir l’accès des personnes LGBTI aux services de santé dans le respect du droit à l’égalité et à la non-discrimination, en assurant notamment la continuité de la distribution d’antirétroviraux aux personnes vivant avec le VIH. De plus, la CIDH réaffirme également que le respect de l’identité de genre doit prévaloir, y compris dans le domaine hospitalier, et appelle les États à adopter ou à renforcer leurs politiques en la matière et à garantir la continuité des services fournis aux personnes trans.

Enfin, la Commission souligne que les mesures d’éloignement physique mises en place pour contenir la pandémie impliquent que les personnes LGBTI, ou perçues comme telles, y compris les filles, les garçons et les adolescents, restent chez eux pendant de longues périodes. Comme la CIDH l’a indiqué précédemment, les filles, les garçons et les adolescents LGBTI sont souvent rejetés par leur famille et leur communauté, qui désapprouvent leur orientation sexuelle et leur identité de genre, et doivent vivre dans une situation particulière de vulnérabilité. En outre, la Commission est consciente que de nombreuses personnes, y compris des filles, des garçons et des adolescentes, ont été contraints de quitter leur foyer en raison de préjugés à l'encontre de leur orientation sexuelle, leur identité ou leur expression de genre.

La Commission exhorte donc les États à adopter ou à renforcer des protocoles de prise en charge et un système de plaintes pour les personnes LGBTI, y compris les filles, les enfants et les adolescentes. Les États doivent aussi tenir compte des préjugés, de la discrimination et de la violence dont ces personnes peuvent faire l’objet dans leur foyer dans le contexte de la pandémie, en garantissant l’accès à un refuge sécuritaire à celles qui ont été expulsées ou contraintes de quitter leur foyer.

Reconnaissant les défis sans précédents auxquels la région est confrontée en ce moment et consciente de la nécessité des appels de la communauté scientifique internationale en faveur de l’adoption de mesures d’éloignement physique, la CIDH recommande que les États prennent compte des personnes LGBTI dans l’élaboration de leurs politiques d’aide sociale et économique, conformément à leurs obligations internationales en matière d’égalité et de non-discrimination.

Considérant les mesures de lutte contre la pandémie du COVID-19 au regard des droits des personnes LGBTI, la CIDH réitère les recommandations contenues dans la Résolution No. 01/20, paragraphes 68-71. De manière complémentaire, il recommande aux États:

  1. En ce qui concerne l’inclusion des personnes LGBTI dans les politiques d’assistance sociale durant la pandémie, garantir que les mesures adoptées bénéficient aux personnes LGBTI vivant dans la rue et aux femmes trans qui exercent le travail du sexe;
  2. Renforcer les systèmes nationaux de protection de l’enfance et de l’adolescence, en reconnaissant la vulnérabilité particulière des filles, des garçons et des adolescents qui ont été expulsés ou contraints de quitter leur foyer en raison de préjugés à l’encontre de leur orientation sexuelle, leur identité ou leur expression de genre.
  3. Garantir la continuité de la distribution d’antirétroviraux aux personnes vivant avec le VIH et l’offre intégrale de soins de santé aux personnes trans, tout en respectant le droit à l’égalité et à la non-discrimination.
  4. Sensibiliser et former, notamment par le biais de formations numériques, les forces de l’ordre et les autorités judiciaires en matière d’identité et d’expression de genre pour prévenir les actes de discrimination et de violence lors de contrôles de police mis en place dans le cadre des états d’exception liés au COVID-19.
  5. Émettre des déclarations publiques rejetant les actes de discrimination ou de violence commis par les forces de sécurité, enquêter sur ces actes et les sanctionner dans le respect du devoir de diligence raisonnable.

La CIDH est un organe principal et autonome de l'Organisation des États américains (OEA), dont le mandat découle de la Charte de l'OEA et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. La Commission interaméricaine a pour mandat de promouvoir le respect et la protection des droits de l'homme dans la région et agit comme organe consultatif auprès de l'OEA en la matière. La Commission est composée de sept membres indépendants élus par l'Assemblée générale de l'OEA à titre personnel et qui ne représentent ni leur pays d'origine, ni leur pays de résidence.

No. 81/20