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Discours

JOSÉ MIGUEL INSULZA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS
ALLOCUTION D’OUVERTURE PRONONCÉE QUARANTE ET UNIÈME SESSION ORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’OEA

5 juin 2011 - EL Salvador, San Salvador


Je voudrais en tout premier lieu vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que le Gouvernement et le peuple d'El Salvador, pour l'excellent accueil réservé à cette Quarante et unième Session ordinaire de l'Assemblée générale de l'Organisation des États Américains. Les efforts que vous avez déployés illustrent avec clarté votre engagement en faveur du Continent américain, mais aussi votre disposition à organiser cette année également nos réunions des ministres du Tourisme et du Travail du continent. Et pour tout cela, nous ne pouvons qu'être reconnaissants.

Nous sommes aussi très heureux de séjourner dans votre pays, qui connait une période fort importante de son histoire, durant laquelle son gouvernement s'efforce de renforcer sa démocratie et d'opérer les changements qui s'imposent pour un développement accru et une société plus juste; nous apprécions également sa disposition à participer au processus d'intégration de l'Amérique centrale.

Cette Session ordinaire de l’Assemblée générale se déroule à une période propice pour notre organisation continentale. Au cours des dernières semaines, deux questions en suspens, préoccupantes à nos yeux, ont trouvé une issue favorable: l'élection et l'investiture d'un nouveau gouvernement en Haïti et le retour du Honduras à l'Organisation des États Américains, en qualité de membre exerçant pleinement ses droits.

C’est ainsi que s’achèvent deux crises qui ont été une source de préoccupation l’année dernière. En même temps, le climat de calme qui caractérise le déroulement de nos processus électoraux – les élections au Pérou touchent à leur fin, et notre mission d’observation est actuellement sur les lieux – nous montre un Continent dans lequel la mise en place d’autorités de manière transparente et démocratique est déjà une coutume et nous devons nous efforcer de nous maintenir sur cette voie.

C’est pourquoi nous accordons une grande valeur aux décisions prises par le Sommet ibéro-américain et l’UNASUR, ainsi qu’aux discussions en cours au sein de la Communauté des États de l’Amérique latine et de la Caraïbe en ce qui concerne l’incorporation de clauses démocratiques propres à assurer la défense collective des gouvernements démocratiques. Certes, la démocratie n'est pas seulement faite d'élections propres et de gouvernements stables; elle s'appuie aussi sur une série d'attributs distincts. L'on ne saurait toutefois réduire l'importance de bénéficier, comme c'est notre cas aujourd'hui, d'élections démocratiques, et de défendre nos institutions, comme nous l'avons fait dans le cas du Honduras et aussi, il y a quelques mois, avec l’Équateur.

Au sujet d’Haïti, il me parait important de souligner que notre Mission conjointe d’observation des élections avec la CARICOM a rempli un rôle fondamental dans l’aboutissement du difficile processus électoral, ce qui est certainement pour nous un motif de satisfaction.

Toutes ces réalisations créent un cadre adéquat pour la célébration au mois de septembre prochain du dixième anniversaire de notre Charte démocratique interaméricaine.

Cette Charte est une proposition intégrale et c’est précisément avec la légitimité première atteinte par le truchement d'élections propres et participatives que nous devons redoubler d'efforts pour concrétiser tous ses principes qui traitent de questions capitales comme les droits de la personne, la liberté d'expression, la séparation et l’indépendance des pouvoirs de l'État, la transparence et la responsabilisation (accountability) dans la pratique de gouvernement, le respect de la primauté du droit et des institutions, la participation effective des citoyens, le respect des droits de la femme, des travailleurs et des minorités, ainsi que la pleine reconnaissance du pluralisme politique dans la société.

Nous ne sommes pas obligés d'être entièrement d'accord sur le meilleur cadre institutionnel pour implanter ces principes. Nous prenons grand soin de respecter les divers choix qu'exercent nos peuples en matière d'organisation politique et sociale et, en ce sens, notre politique collective doit toujours respecter le principe de non-intervention.

Cependant, nous avons aussi le mandat, librement assumé par les signataires de la Charte démocratique, de veiller à l'application des principes cités antérieurement.

Les discussions qui se déroulent pour le moment ne visent pas à modifier leur teneur programmatique mais à atteindre l’objectif annoncé lors de l’Assemblée générale antérieure, qui est de rendre la Charte démocratique interaméricaine plus efficace. À cet effet, j'ai soumis au Conseil permanent des propositions qui complètent les rapports présentés en 2007 et 2010. Conformément aux décisions adoptées, ces propositions visent une efficacité accrue de la Charte démocratique, en précisant davantage quels sont les actes qui constituent des violations graves des institutions, en proposant des mécanismes pour prévenir les crises, et en offrant d'autres solutions non envahissantes pour dresser le bilan des progrès réalisés dans chacune des questions traitées dans la Charte. Monsieur le Président, nous saluons également vos déclarations à ce sujet.

J'espère que ces propositions, ainsi que celles des États membres, seront considérées sous un jour favorable. Forts de nos réalisations récentes, je suis convaincu que nous pourrons tenir un bon dialogue sur le renforcement de notre démocratie, en respectant scrupuleusement les particularités du processus politique de chaque pays. Un continent en paix, respectueux des règles de la démocratie, constitue la condition essentielle qui rendra possible son développement économique et social.

À ces égards, l'Amérique latine et la Caraïbe connaissent également une situation encourageante. La crise économique internationale, la plus profonde depuis la grande Dépression, et dont on ne peut pas encore parler au passé, a frappé la région d'une autre manière que les crises antérieures. En effet, les taux d'inflation ont été contenus en général, et l'on a continué de constater une meilleure discipline fiscale. C'est grâce à une plus grande ouverture des économies que nous avons pu bénéficier davantage de l'augmentation de la demande dans d'autres régions du monde.

Malgré certaines différences entre les diverses sous-régions, dont le profil d'exportation est différent, et dont la proximité aux lieux particulièrement touchés par la crise est plus ou moins grande, on peut dire que, cette fois-ci, les pays d'Amérique latine et des Caraïbes n'ont pas été frappés comme dans le passé. Les efforts consentis durant les dix dernières années pour stabiliser l'économie ont prouvé que la région est sur la bonne voie. Nous sommes en train de sortir de cette crise avec un regain de forces, de meilleurs indicateurs de risque, une meilleure notation de crédit et une moindre prime à verser au titre du risque.

Si les conditions actuelles persistent, nous pouvons oser espérer des progrès soutenus. Les conditions actuelles sont favorables à une meilleure intégration de nos pays dans l'économie mondiale, et le moment est aussi venu de tirer parti d'une demande croissante pour nos produits. Cependant, il faut savoir comment tirer parti d'une telle occasion. Aujourd'hui, le Fonds monétaire international nous annonce un risque de surchauffe économique et, effectivement, nous connaissons des poussées inflationnistes et une rareté persistante de l'épargne intérieure. Dans des économies comme les nôtres, où la tradition veut, malheureusement, que les périodes d'abondance génèrent des dépenses excessives et où l'inflation est un problème endémique, ces variables ne sauraient être ignorées.

Si nous devons accroître notre compétitivité tout en améliorant les conditions de vie de nos citoyens, nous devons trouver les moyens qui permettent à ces personnes d'obtenir des emplois décents et productifs. Par ailleurs, nous devons poursuivre nos efforts pour intégrer beaucoup plus les femmes dans le monde du travail. Telles sont toutes les raisons pour lesquelles nous devons améliorer considérablement notre éducation, de sorte que, lorsque notre population, plus jeune par rapport à d’autres régions du monde, entre dans le monde du travail, elle soit munie des instruments qu'exige le monde moderne. Un monde plus intensif en capital et en nouvelles technologies.

Aujourd'hui, nos pays sont encore très injustes. La crise actuelle n'a pas occasionné, comme cela était toujours le cas lors des crises antérieures, un grand revers pour notre lutte contre la pauvreté, mais nous ne sommes pas parvenus à diminuer notablement les inégalités.

Le bond vers le développement, l'amélioration de la qualité de vie de nos habitants et la construction d'un continent plus juste, tout cela ne sera possible qu'avec un effort solidaire accru. La charge fiscale de l'Amérique latine par rapport aux autres régions demeure très faible et fortement concentrée sur les impôts indirects. Il est impossible de relever les défis que nous réserve l'avenir sans modifier cette charge fiscale et, bien entendu, diminuer l'évasion. La preuve en est qu'il suffit de comparer la répartition des revenus dans notre région à celle des pays industrialisés de l'OCDE avant et après impôt: tandis que, dans le second groupe de pays, cette répartition s'améliore considérablement une fois la charge fiscale appliquée, dans notre région, les inégalités n’enregistrent presque aucune différence après impôt.

La question n'est pas de savoir si la décennie qui commence sera ou non “la décennie de l'Amérique latine”, mais plutôt “Que nous devons faire pour qu'elle soit la décennie de l’Amérique latine ?” Aujourd'hui, certains éléments nous permettent d'être raisonnablement optimistes. La croissance mondiale pointe désormais les pays émergents, dont les modèles de consommation divergent de ceux des pays riches.

Ces nouveaux consommateurs ont besoin d'un développement des infrastructures, de produits alimentaires et d'autres biens qui revalorisent les matières premières. De plus, cette région est en meilleure position qu’aucune autre pour les fournir non seulement en matières premières mais aussi en biens de consommation, comme on commence à le constater. Si nous exploitons ces ressources pour perfectionner nos systèmes de protection sociale, pour qu’elles bénéficient à l’éducation, à la santé, aux infrastructures, à l'élimination de la pauvreté absolue et à la réduction de l'écart entre les démunis et les privilégiés dans nos sociétés, si nous améliorons la qualité de notre action publique et si nous forgeons de véritables conventions nationales pour aller de l'avant, sans perdre de temps dans des polémiques inutiles, la réponse peut être affirmative.

Notre Organisation continuera de lutter pour la réalisation de ces objectifs de développement par le biais de nos programmes de coopération qui visent le renforcement des institutions publiques et de la société, éléments nécessaires pour impulser le développement, accroître l'efficacité de l'action gouvernementale en consolidant ses structures décisionnelles et d'exécution de politiques publiques, et former ses ressources humaines tant à l'utilisation des techniques les plus modernes d'administration publique qu'à la formation des jeunes les plus brillants de la région. Nous voulons également soutenir les secteurs les plus exclus de la société civile et stimuler la responsabilité sociale de l’entreprise afin de forger des partenariats entre l'initiative publique et l'initiative privée, pour une plus grande efficacité de l'effort commun de développement intégré.

Toutefois, la gouvernance démocratique, la croissance économique et l'amélioration de la qualité de vie ne seront pas envisageables si nous ne surmontons pas un obstacle fondamental. Il s'agit du thème choisi par vous, Monsieur le Président, pour cette Assemblée générale.

En 2003, lors de la Conférence spéciale sur la sécurité qui s’est tenue à Mexico, les États membres de l’OEA adoptaient la "Déclaration sur la sécurité dans les Amériques", laquelle définissait la portée multidimensionnelle, notamment les nouvelles menaces et celles qui sont traditionnelles. Au nombre de celles-ci, pour la première fois, ont été identifiées comme menace directe à la sécurité des personnes les catastrophes naturelles qui ont coutume d’assaillir bon nombre de nos pays, ainsi que les catastrophes provoquées par les êtres humains qui, de plus en plus, font courir un grave danger à l’environnement dans notre région. Nous réagissons à ce défi croissant en nous efforçant de coordonner les mesures d’atténuation et de reconstruction avec les autres institutions internationales, en canalisant l’aide de manière directe ou à travers la Fondation panaméricaine de développement, et en encourageant l’action volontaire à travers le programme de Casques blancs sous la direction de la République argentine.

De même, la Conférence de Mexico a rappelé la menace que pose la persistance de facteurs comme la pauvreté, l’indigence, les inégalités, l’exclusion sociale, l’instabilité économique et le chômage, éléments qui créent un terrain fertile pour les activités criminelles et les accroissent. Nous avons tous réitéré à plusieurs reprises que dans notre région, un jeune sur quatre ne suit pas d’études et est sans emploi: le résultat est que des millions d’entre eux sont des cibles vulnérables de la criminalité et des sujets d’insécurité, soient parce qu’ils sont recrutés par les bandes criminelles soit parce qu’ils sont victimes de leur action criminelle.

Cependant, la Conférence de Mexico a aussi mis un accent spécial sur la menace de la criminalité qui, huit ans après, représente un danger beaucoup plus grave. Reconnaître les origines du phénomène de la criminalité ne nous déresponsabilise pas de l'obligation de faire face intégralement au problème.

La criminalité, le trafic des drogues et la violence sont une menace pour la stabilité, le renforcement de la démocratie et de l'État de droit et pour le développement économique dans les Amériques. Nous ne pouvons plus méconnaître l'importance capitale pour notre avenir de l'augmentation de la criminalité et, particulièrement, de la criminalité transnationale organisée.

Les organisations criminelles que nous affrontons aujourd'hui agissent des deux côtés de nos frontières nationales; elles sont responsables du trafic de drogues, du blanchiment d'avoirs, du trafic illicite des migrants et de la traite des personnes, du trafic d'armes, ainsi que d'actes d'extorsion, de piraterie intellectuelle et d'enlèvement.

Toutefois, la violence touche la population de manière inégale. Ses victimes principales sont les adolescents et les enfants. Les jeunes qui vivent dans les couches les plus démunies de la société, surtout les garçons, sont les principaux participants des activités des bandes armées, mais ils sont aussi les principales victimes de la violence. Dans la région, le taux de mortalité par blessures, qui s'élève à 14,94 pour 100 000 habitants, constitue la première cause des décès parmi les jeunes âgés de 15 à 29 ans, où ce chiffre atteint 83,2. Il est encore plus élevé chez les jeunes des couches moyennes et inférieures, parmi lesquelles il est supérieur à 100 pour 100 000 habitants.

Les femmes sont elles aussi des victimes privilégiées de la violence: selon une étude de la BID, les agressions sexuelles et la violence domestique touchent entre 25 % et 50 % des femmes d'Amérique latine. D'autre part, nous connaissons tous la réalité alarmante que les statistiques commencent à nous révéler sur le féminicide dans nos pays.

La précarité de la sécurité touche directement l'intégrité physique, la tranquillité et les biens des personnes; elle constitue également une menace à la stabilité, au renforcement démocratique, à l'État de droit et au développement de tous les pays des Amériques. Des études menées par la Banque interaméricaine de développement révèlent que la violence associée à la criminalité réduit de plus de 12 % le PIB des pays d'Amérique latine. Les frais imputables à la sécurité privée qui s'approchent des 7 milliards de dollars en Amérique latine dépassent largement les dépenses publiques de sécurité et de justice dans la majorité des pays de notre région.

Surmonter les problèmes des inégalités, de la pauvreté absolue, des insuffisances des services publics et du manque d'emplois décents est un processus qui exigera de nos pays plusieurs années d'efforts, qui ne nous permettront pas de répondre aux requêtes urgentes de nos sociétés en matière de sécurité publique. Le dernier sondage de Latinobarómetro révèle un attachement accru envers la démocratie mais il révèle aussi, dans tous les pays, un accroissement marqué de la préoccupation causée par la criminalité, même dans les pays qui accusent un taux de criminalité relativement faible.

Le fait objectif de l'accroissement de la criminalité et de la criminalité organisée se greffe donc sur le fait subjectif des inquiétudes et des revendications citoyennes. La criminalité constitue un enjeu politique pour notre démocratie et exige des réponses claires de notre part. La réponse doit émaner de toute la société, de toutes les organisations sociales et politiques et de la citoyenneté active. Elle exige au même titre des politiques publiques claires, mais aussi des décisions politiques et budgétaires qui en assurent la mise en œuvre.

Certes, la lutte contre la criminalité interagit avec les politiques de développement économique et social en même temps qu’elle suppose l’élimination de facteurs de frustration et de discrimination, la création de débouchés d’emploi et/ou d'éducation pour tous les jeunes, et des mesures correctrices eu égard aux inégalités énormes qui existent dans nos sociétés. Une société démocratique doit être compatible avec la défense des droits de la personne et des libertés en faveur desquels nous avons tellement lutté. Elle implique également le renforcement de la capacité de nos institutions policières à exercer la vigilance, assurer la protection des citoyens et enquêter sur les délits; l'existence de procureurs et de juges capables d'appliquer les lois de manière juste et sévère; l'existence de systèmes pénitentiaires qui favorisent la rééducation des délinquants, spécialement des jeunes, et qui en même temps isolent les criminels les plus dangereux et les chefs de gangs incarcérés, qui se servent des prisons comme de véritables bureaux à partir desquels ils mènent leurs activités délictueuses; cette société implique enfin la mise en place de mécanismes d'action et de participation communautaires qui œuvrent en faveur de la prévention de la criminalité.

Rien ne remplace l'action de l'État dans le développement de ces ressources, dans l'interaction avec la communauté organisée. Mais certains de nos pays doivent faire face à des défis plus profonds que d'autres. De plus, certains ne disposent pas de ressources suffisantes pour construire des systèmes de sécurité modernes et démocratiques. Les offres d'appui aux pays les plus affaiblis, par des filières bilatérales ou multilatérales, ne sauraient se borner à une action purement complémentaire ou périphérique, car elles doivent s’attacher de manière active à soutenir les politiques démographiques qui s’inscrivent dans le processus de création de systèmes de sécurité dans les domaines précités.

Le phénomène de la criminalité est très clairement doté d'un élément transnational: le trafic des stupéfiants répand les drogues à travers les frontières; le trafic d'armes du Nord vers le Sud alimente de plus en plus les cartels de la drogue et réduit à néant les efforts que déploient les gouvernements pour les combattre; la traite des personnes franchit les frontières ; le blanchiment de l'argent tire parti des avantages que lui offrent les systèmes financiers mondiaux; les bandes armées criminelles opèrent dans différents environnements et passent facilement d'un pays à l'autre.

Cette réalité fait que la criminalité est, de par sa nature, une activité transnationale que nous ne pourrons combattre que collectivement, dans le cadre d'une coopération bien supérieure à celle à laquelle nous sommes parvenus jusqu'à présent.

C'est pourquoi, depuis que j'ai pris les rênes du Secrétariat général de l'OEA en 2005, j'ai souligné à maintes reprises que, conformément aux requêtes des citoyens des Amériques, nous devons accorder à la sécurité publique la première place dans les priorités de ce domaine de travail.

Dès 1986, nous avons créé la Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues, qui est le forum politique du Continent américain au sein duquel sont discutées toutes les questions liées au problème mondial des stupéfiants. En outre, en 1999, nous avons créé le Comité interaméricain contre le terrorisme. Cependant, ces deux entités œuvraient sans une conception intégrale de la sécurité publique, et il existait d'autres menaces graves qui n’étaient toujours pas envisagées au sein de l'Organisation.

En 2005, au titre d'un développement institutionnel découlant de la Déclaration adoptée à Mexico en 2003, nous avons créé le Secrétariat à la sécurité multidimensionnelle dont relèvent la Commission et le Comité susmentionnés, ainsi que le Département de la sécurité publique qui se focalise sur les nouvelles menaces à la sécurité qui ne sont pas gérées par les entités susmentionnées et qui incluent la criminalité organisée et le phénomène des bandes armées criminelles, la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, l'action intégrale contre les mines antipersonnel et la traite des êtres humains.

Les réunions des ministres de la justice de la région ont, de plus en plus, axé leurs efforts sur les questions de coordination de la justice pénale, tout en étant pleinement conscients que nous pouvions accroître la capacité de prévention et d'interdiction avec des interventions collectives. Une mention spéciale doit être faite de la tenue de deux Réunions des Ministres chargés de la sécurité publique, au Mexique en 2007, et en République dominicaine en 2009, cette dernière précédée, la même année, d'une importante réunion d'experts à Montevideo. La troisième Réunion qui est prévue à Trinité-et-Tobago en novembre prochain portera sur des mécanismes et des indicateurs concrets mettant nos pays en mesure de donner suite aux résultats de la présente Session de l'Assemblée générale et de relever la qualité de notre action internationale.

Ces entités permanentes de discussion et de décision mettent les hauts fonctionnaires chargés de l'application des lois et de la gestion de la sécurité publique en mesure d'identifier les racines les plus profondes du phénomène de la criminalité et de la violence dans le Continent américain, de réunir des consensus et de mener des actions coordonnées pour y faire face.

Au Secrétariat général de l'OEA, nous assurons également la coordination ou les attributions de secrétariat exécutif du Mécanisme de suivi de la Convention interaméricaine contre la corruption; du Mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la Convention de Belém do Pará; de la Convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de munitions, d'explosifs et d'autres matériels connexes; du Plan continental contre la criminalité transnationale organisée; du Mécanisme d'évaluation multilatérale de la Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues; du Comité interaméricain contre le terrorisme; du Groupe de travail chargé d'élaborer la Stratégie régionale de promotion de la coopération interaméricaine pour le traitement de la question des bandes armées criminelles; du Groupe technique sur la criminalité transnationale organisée; de la Réunion des Autorités nationales en matière de traite des personnes; de la Réunion des Autorités chargées des politiques pénitentiaires et carcérales; de la Réunion des spécialistes en médecine légiste, et des groupes d'experts sur la réduction de la demande, le blanchiment des avoirs, le trafic maritime des drogues et les précurseurs chimiques.

Nous devons les utiliser pour mieux affronter cette tâche, mais les décisions adoptées sont tributaires de la présence d’un plan d’action précis pour réaliser les politiques élaborées par nos soins.

Je ne saurais manquer de parler ici de la réunion de notre Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues (CICAD) qui a été tenue récemment au Suriname, et au cours de laquelle a été approuvée définitivement la nouvelle Stratégie de lutte contre la drogue pour la période 2011-2015, élaborée par un Groupe de travail de haut niveau sous la direction du Mexique. Ce plan identifie les politiques et les objectifs concrets relatifs à cinq domaines de travail: le renforcement institutionnel, la réduction de la demande, la réduction de l'offre, les mesures de contrôle et la coopération internationale; il établit également des mesures concrètes associées à chacun de ces domaines. Pour la première fois, dans cette stratégie, une attention équilibrée est accordée aux différentes composantes de la lutte contre la drogue, y compris des propositions très claires pour contrôler l'offre, combattre le blanchiment de l'argent, et réduire le trafic d'armes au bénéfice des trafiquants de drogues.

Je mets en relief cette nouvelle stratégie pour deux raisons: premièrement, parce que cette stratégie montre jusqu'à quel point nous nous rendons clairement compte des véritables faiblesses de la politique actuelle. Lorsque nous parlons de la guerre actuelle contre la drogue, nous ne pouvons pas dire qu'elle a échoué parce que nous n'avons pas confisqué des drogues ou parce que nous ne détenons pas des personnes liées au trafic de stupéfiants. En 2010, nous avons réquisitionné dans les Amériques plus de 500 tonnes de cocaïne qui se chiffrent à près de la moitié de la production. En outre, des trois millions et demi de personnes incarcérées dans tout le Continent américain, un tiers de ce nombre est détenu pour cause de délits liés au trafic des stupéfiants. Nous pouvons, bien sûr, améliorer notre efficacité dans ce domaine, mais tant que la demande ne diminuera pas, que le trafic continuera d'être rentable et que le flux d’argent ne diminuera pas, il existera toujours un financement pour ce trafic, et tant qu'existera cette abondance d'armes qui sont écoulées du Nord au Sud, la guerre continuera, et nous devrons y faire face dans des conditions qui ne feront qu’empirer.

Ce n'est pas un hasard que la nouvelle Stratégie, adoptée à l'unanimité, traite de la nécessité de réduire la demande, de s'attaquer plus rationnellement au blanchiment de l'argent et de réduire le trafic d'armes.

Deuxièmement, l'adoption de la nouvelle Stratégie de lutte contre la drogue montre que nous sommes capables de formuler un Plan d'action consensuel qui contient des mesures concrètes portant sur un thème aussi central que l'est la lutte contre le trafic des stupéfiants. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas faire de même, à brève échéance, pour élaborer un Plan d'action plus général.

J'espère que l'Assemblée générale au cours de cette Session ordinaire adoptera les décisions qui mèneront à cette fin, à l’instar des membres de la Communauté des institutions policières d’Amérique, qui se réunissent maintenant à quelques kilomètres d’ici. Hier, nous avons signé un accord de coopération avec cette association, qui rassemble les institutions policières de tous nos pays, et qui attendent des directives précises afin de pouvoir agir dans le sens que nous leur indiquerons.

Une grande partie des contenus de cette stratégie a déjà été avancée par El Salvador au cours du débat qui a précédé cette Session ordinaire de l'Assemblée. J'espère que nous prendrons ici en considération ces actions et d'autres mesures concrètes pour coopérer dans la lutte pour la sécurité citoyenne, et que nous adopterons les décisions nécessaires pour les traduire sous forme d'un Plan d'action.

Monsieur le Président, grâce à l'initiative de votre gouvernement et à l'inspiration qui a émané du projet présenté par votre Ministère des affaires étrangères, les Ministres des relations extérieures des Amériques auront la chance, au cours de cette Session ordinaire, d'adopter les mesures relatives au renforcement de la coopération internationale en matière de lutte contre la criminalité. Au nombre des sujets qui occuperont les délibérations de cette Session ordinaire de l'Assemblée ressortira l'obligation de l'État d'assurer la sécurité de ses citoyens dans le cadre d'un ordre démocratique, du règne de l'État de droit, et du respect des droits de la personne, une obligation qui cherche à s'exprimer dans les politiques de sécurité publique à long terme, intégrales et dotées d'une perspective sexospécifique.

L'interaction des différents échelons de l'État et de la société civile organisée, de la communauté, des médias, du secteur privé et des cercles universitaires, en vue de répondre de manière participative, articulée et intégrée aux menaces complexes à la sécurité dans nos pays, doit également être présente dans les délibérations et les conclusions de cette Session ordinaire de l'Assemblée générale.

L'Organisation des États Américains a orienté ses politiques de sécurité de façon à servir essentiellement ces objectifs. Comme je vous l'ai exposé ici, nous avons mis en train des programmes et mobilisé des ressources institutionnelles afin d'être utiles à cette importante tâche, et nous les mettons à la disposition de tous nos pays membres. Pour l'immédiat, nous participerons avec enthousiasme à la prochaine réunion sur la sécurité, prévue au Guatemala le 22 juin prochain, et nous assumerons les tâches qui nous seront indiquées à cette occasion.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les ministres,

Notre continent traverse une période de changement. Aujourd’hui, les conditions économiques sont réunies pour que s’ouvre la perspective certaine d’un bond en avant. Les conditions politiques sont elles aussi favorables, avec des processus électoraux consolidés, et des avancées considérables dans les institutions de tous les pays.

Toutefois, ces changements, qui sont positifs, peuvent être de nouveau compromis par des menaces qui, elles, n’ont pas perdu de terrain. Notre région n’est pas en proie aux guerres, mais aux prises avec deux ennemis communs et interdépendants, et bien plus violents encore: la criminalité organisée et les inégalités.

L’OEA est prête à relever ces défis. Nous n’attendons que des décisions claires, que vous adopterez, j’en suis persuadé, durant cette Session ordinaire et dans les mois qui suivront. Si c’est le cas, je crois que nous n'aurons plus aucun doute, et que nous pourrons dire en toute sécurité que cette nouvelle décennie sera la décennie de l'Amérique latine et des Caraïbes, dans un Continent américain marqué par le progrès, la sécurité et la paix.