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Communiqué de presse


Rapport de la Mission Conjointe d’Observation des Élections de l’Organisation des États Américains et de la Communauté des Caraïes au sujet du premier tour des élections Présidentielle et Législatives du 28 Novembre 2010 en Haïti

  18 février 2011

Introduction

Les élections du 28 novembre se sont déroulées dans les circonstances les moins propices et les moins favorables. De nombreux commentateurs étaient d’avis qu’il était « impossible et peu judicieux » de tenir des élections dans un pays dont la capitale avait été dévastée et dont la population avait été décimée par le tremblement de terre du 12 janvier 2010, même si les experts de l’OEA et des Nations Unies avaient conclu qu’elles pourraient avoir lieu. La capacité institutionnelle du pays, qui était déjà faible, avait été pratiquement anéantie. Les effets sociaux et matériels de la catastrophe étaient encore visibles et avaient été exacerbés par l’épidémie meurtrière de choléra qui a fait son apparition au mois d’octobre.

Le contexte avant les élections
Au fur et à mesure que le jour des élections approchait, il était clair qu’une dynamique positive en faveur des élections était en train de se mettre en place. Le contexte politique était devenu plus favorable et plus rassurant, grâce à la participation croissante des candidats, des partis et des plateformes politiques qui, initialement, avaient eu l’intention de boycotter les élections.

Toutefois, il y avait un certain nombre de signes inquiétants :
- les allégations concernant la distribution d’armes ;
- une augmentation importante des violences pré-électorales ;
- le recrutement et la formation des superviseurs des élections et des membres des bureaux de vote ne s’étaient pas déroulés sans incidents ;
- un des principaux candidats à l’élection présidentielle a fait état de plans présumés de fraude massive et d’actes d’intimidation pour empêcher la participation des électeurs ;
- le démarrage tardif de la campagne d’information du public, notamment des informations concernant l’endroit où les électeurs devaient voter ;
- des groupes de la société civile avaient exprimé leur préoccupation à propos de l’exactitude des listes électorales.

La Mission conjointe elle-même, dans ses communiqués de presse et dans ses discussions avec différentes parties prenantes avant le jour des élections, le 28 novembre 2010, avait signalé ou déploré publiquement un certain nombre des problèmes susmentionnés :
- Elle a rappelé qu’en signant le Code de conduite électorale, les candidats et les partis politiques s’étaient engagés à promouvoir la tolérance et à bannir le recours aux armes, les agressions physiques ou verbales et à respecter le droit des partis rivaux et de leurs partisans à se réunir et à faire campagne en toute quiétude dans toutes les régions du pays.
- Elle a lancé un appel à tous les dirigeants politiques pour qu’ils fassent preuve d’un leadership responsable en demandant à leurs partisans de rester calmes et de faire montre de maîtrise de soi et de tolérance.
- Les substitutions apportées par le CEP dans les noms des superviseurs et l’exclusion de personnes qui avaient été désignées par les partis politiques pour être membres des bureaux de vote sans que cette instance ne donne une explication appropriée à ce sujet.
- Le rôle crucial que jouent les superviseurs dans le bon fonctionnement des bureaux de vote le jour des élections.
- L’exhortation faite aux électeurs pour qu’ils s’acquittent de leur devoir civique et pour qu’ils participent massivement aux élections.
- L’appel au calme lancé le jour des élections et l’appel à la patience pendant l’attente des résultats préliminaires.
- Et l’appel lancé à la Police nationale d’Haïti et aux juges de paix pour qu’ils assument leurs responsabilités le jour des élections.

Dans une lettre adressée au Président du CEP le 26 novembre, la Mission conjointe a exprimé fermement sa préoccupation concernant les modifications apportées aux noms de superviseurs et de membres des bureaux de vote, soulignant que ces substitutions avaient éveillé des suspicions à l’égard du CEP et qu’elles avaient également suscité des critiques, car cela était considéré comme un comportement partial du CEP en faveur d’Inité. La lettre recommandait au CEP d’expliquer publiquement les raisons pour lesquelles il avait modifié les listes car sa crédibilité était mise en cause et l’intégrité des élections était en jeu. Elle faisait état également des préoccupations exprimées par plusieurs groupes nationaux d’observation des élections concernant la fiabilité des listes électorales. Elle indiquait que la Mission conjointe n’était pas en mesure d’évaluer sa fiabilité étant donné que le CEP ne lui avait jamais donné accès, malgré la lettre qu’elle lui avait adressée le 26 octobre et ses demandes ultérieures formulées verbalement et par téléphone, à sa base de données ni aux informations pertinentes qui lui auraient permis de réaliser cette évaluation. La question d’aider les électeurs à identifier les bureaux de vote dans les différents centres de vote y était également mentionnée ainsi que la demande de mise à disposition du Manuel des procédures opérationnelles du Centre de tabulation des votes, engagement que le CEP avait pris envers les candidats et les partis politiques et n’avait pas encore tenu.

Outre les préoccupations mentionnées ci-dessus, la Mission conjointe a fait observer à maintes reprises dans ses communiqués de presse et dans ses commentaires publics que le plus grand obstacle à de bonnes élections était le manque de crédibilité du CEP et le degré élevé de méfiance en ce qui concerne son impartialité. Elle a également fait observer que, compte tenu de ce manque de confiance, toute déficience et toute anomalie seraient amplifiées et regardées avec cette lorgnette. Bien que le CEP, conscient du fait qu’il était perçu de manière négative, ait pris des mesures propres à améliorer son image en déployant de grands efforts de communication, de transparence et de relations avec les candidats et les partis politiques, il a anéanti le petit peu de fiabilité qu’il était parvenu à amasser par son incapacité à répondre aux préoccupations des partis politiques concernant la modification des listes de superviseurs et de membres des bureaux de vote. La désorganisation du 28 novembre allait simplement confirmer tous les doutes, toutes les préoccupations et suspicions de la phase précédente.

Le jour des élections
La Mission conjointe, qui avait augmenté progressivement sa présence sur le terrain, passant d’un petit « Groupe noyau », composé de 5 personnes en août, à 28 observateurs le 1er octobre et à 118 observateurs le jour des élections, a déployé dans tout le pays plus de 52 équipes d’observateurs le jour des élections, toutes munies d’un questionnaire détaillé. La présence sur le terrain de l’OEA faisait pâle figure à côté des un peu plus de 6.000 observateurs déployés par les organisations d’observation des élections de la société civile haïtienne. Dès leur arrivée, tous les groupes ont reçu une formation aux procédures d’observation des élections de l’OEA et ont participé à des séances d’information sur le contexte électoral et politique dans lequel ils allaient opérer. Ils ont également reçu les rapports et les communiqués de presse de la Mission.

Le travail et la présence de la Mission étaient considérés comme des contributions visant à :
- renforcer l’intégrité des élections par la dissuasion et la dénonciation, si besoin était, des irrégularités et des fraudes électorales ;
- diminuer le risque de violences le jour des élections ;
- renforcer la fiabilité du processus électoral et la confiance du public en celui-ci ;
- formuler des recommandations destinées à améliorer le processus électoral.

D’une manière générale, le jour des élections a été marqué par la désorganisation, le dysfonctionnement, plusieurs types d’irrégularités, des bourrages d’urnes, des incidents d’intimidation, des actes de vandalisme contre des bureaux de vote et des violences. Selon les informations que la Mission conjointe a reçues de ses équipes déployées dans tout le pays au cours de la matinée, les problèmes semblaient être concentrés dans quelques régions, notamment à Port-au-Prince. Dans l’ensemble, le scrutin semblait se dérouler relativement bien dans les provinces, même si des irrégularités similaires y ont été observées (ouverture tardive des bureaux de vote, électeurs qui avaient du mal à trouver leur bureau de vote ou à trouver leur nom sur la liste électorale partielle du bureau de vote). Toutefois, un incident d’une violence grave a été signalé en début de matinée à Desdunes, dans l’Artibonite.

Les allégations répétées qu’une fraude massive allait avoir lieu semblaient avoir suscité un état d’esprit où toute défaillance ou problème était amplifié, sorti de son contexte et perçu comme une manifestation de la fraude prévue. Ainsi, par exemple, les délégués des partis politiques à qui on avait dit que cinq d’entre eux au maximum pouvaient être présents en même temps dans les bureaux de vote avaient vite fait de téléphoner à leurs centres d’opération pour se plaindre qu’ils étaient exclus délibérément des bureaux de vote. La Mission a assuré le suivi d’un certain nombre de ces plaintes formulées par plusieurs partis politiques. Des électeurs qui ne pouvaient pas trouver leur bureau de vote ou leur nom sur la liste électorale partielle réagissaient de la même manière, affirmant que la fraude était en train de se produire. Un grand nombre d’électeurs, à Port-au-Prince et dans d’autres endroits, ont été affectés par ce problème. La saturation des centres d’appel et la mauvaise volonté ou l’ignorance des membres des bureaux de vote qui ne permettaient pas aux électeurs de voter moyennant une déclaration sous serment rédigée par les membres des bureaux de vote n’ont fait qu’aggraver la frustration des électeurs. Il y a eu également des allégations de bourrage d’urnes dans la capitale, allégations auxquelles les membres du “Groupe noyau” ont donné suite mais qui se sont révélées fausses.

Vers la fin de la matinée, la désorganisation, la frustration des électeurs et le nombre croissant de saccages de bureaux de vote ont amené une augmentation alarmante de la tension. Cette tension a atteint son point culminant avec l’information selon laquelle l’écrasante majorité des candidats à la Présidence allaient demander la suspension ou l’annulation des élections. Le “Groupe noyau” des ambassadeurs s’est réuni deux fois, à midi d’abord, puis un peu plus tard, à 14 heures, pour discuter de la situation et décider de la stratégie qui serait de nature à aider les autorités haïtiennes à faire face à cette nouvelle crise. Au cours de la deuxième réunion à laquelle le Chef de la Mission conjointe et le Secrétaire général adjoint de l’OEA ont été invités, des informations provenant du Chef de la MINUSTAH arrivaient à intervalles réguliers faisant état de la dégradation de la situation sécuritaire dans la capitale.

Prenant en considération cette spirale funeste ainsi que les signes avant-coureurs de troubles imminents et la possibilité réelle d’une violence généralisée à Port-au-Prince, le Chef de la Mission a pris la décision de rappeler les observateurs déployés dans le département de l’Ouest, département dans lequel est située la capitale. Il a également recommandé de faire de même dans d’autres départements où des actes de violence étaient en train d’être commis. En conséquence de quoi, un peu plus tard, la décision a été prise de rappeler les observateurs qui se trouvaient dans le département du Nord, pour des raisons de sécurité personnelle.

Malgré l’appel à l’annulation des élections lancé par la majorité des candidats à la Présidence, le processus électoral a continué jusqu’au bout, y compris le dépouillement des bulletins de vote et l’affichage des résultats dans l’immense majorité des bureaux de vote. Ce soir-là, après des consultations entre la communauté internationale, deux des principaux candidats, Mme Manigat et M. Martelly, qui avaient demandé l’annulation des élections, suite aux contacts qu’ils avaient eu avec le Forum économique du secteur privé, avaient changé de position, contribuant ainsi, indéniablement, à sauver le processus électoral.

Étant donné la nature discutable des événements qui se sont produits le jour des élections, la Mission conjointe s’est rendu compte qu’il allait être nécessaire qu’elle fasse connaître publiquement sa position concernant la validité des élections. Elle a demandé aux coordonateurs des onze départements électoraux de lui adresser de toute urgence des rapports sur leurs observations. Cette information a servi à l’élaboration d’un rapport détaillé contenant les observations de la Mission conjointe sur le déroulement des élections présidentielle et législatives et sur le contexte dans lequel elles avaient eu lieu. Ce rapport a été rendu public le 29 novembre pendant une conférence de presse. La Mission s’est demandé si les irrégularités qu’elle avait observées étaient d’une ampleur et d’une régularité telles qu’elles auraient invalidé la légitimité du processus. Se basant sur ses observations dans les onze départements électoraux, la Mission conjointe a conclu qu’elle ne croyait pas que ces irrégularités, pour graves qu’elles aient été, invalidaient nécessairement le processus. Elle a également considéré que la décision de presque tous les candidats à la Présidence de demander l’annulation des élections était précipitée et regrettable et souligné que le processus avait continué jusqu’au bout. Elle a également souligné que la Loi électorale contenait des dispositions permettant à un candidat de contester l’élection d’un autre candidat lorsque des irrégularités et des fraudes s’étaient produites.

Parmi les caractéristiques plus positives du processus électoral figurent un certain nombre d’éléments illustrant la modernisation et une plus grande ouverture de la politique : le recours aux sondages en tant qu’instrument de campagne et l’utilisation, par certains candidats, des messages électroniques et autres formes de réseaux sociaux pendant la campagne électorale. L’implication de plus en plus grande du secteur privé dans le processus électoral, en qualité de partie prenante et pas seulement sous la forme de contribution au financement des candidats, doit être soulignée. Beaucoup d’observateurs de la Mission ont commenté le nombre considérable de jeunes gens et de femmes qui ont participé au processus en tant que membres des bureaux de vote. Les observateurs ont été particulièrement impressionnés par la diligence et l’impartialité dont avaient fait preuve les femmes.

Le contexte après le jour des élections
La Mission a continué d’observer le processus électoral après le jour des élections en détachant, dès le 29 novembre, une équipe d’observateurs dont la mission était de superviser le début de la compilation et du comptage des voix au Centre de tabulation des votes. Elle a également pris des mesures afin d’organiser la séance de debriefing des observateurs à court terme qui partiraient du pays le 2 décembre.

Supervision du Centre de tabulation des votes (CTV)
Les observateurs de la Mission conjointe ont rencontré quelques difficultés à obtenir un accès immédiat aux informations relatives aux procédures, aux mesures de contrôle de la qualité et aux critères utilisés par les fonctionnaires du CTV lors de la vérification des procès-verbaux de dépouillement ainsi qu’à la version préliminaire du Manuel des opérations. Les fonctionnaires n’étaient pas immédiatement coopératifs et les informations ont dû être dénichées. Il a fallu recourir au Directeur général du CEP pour obtenir l’accès total et les facilités dont les membres de la Mission avaient besoin, à l’instar des autres observateurs internationaux, pour s’acquitter de leurs fonctions de supervision.

Les motifs de leur manque d’empressement à être transparents sont devenus évidents rapidement. Les directives de contrôle au niveau du système, de même que les contrôles de qualité et les contrôles juridiques n’étaient pas définis de manière très détaillée. Le manuel des procédures lui-même n’était qu’un document préliminaire qui n’avait pas encore reçu l’aval de l’autorité statutaire, le CEP.

L’une des premières observations de la Mission portait sur la mesure de contrôle initial qui était en train d’être utilisée pour identifier les procès-verbaux de dépouillement devant être soumis à la vérification visuelle. Ce seuil de contrôle avait été fixé à 225 voix en faveur de n’importe quel candidat individuel. La Mission a souligné que, compte tenu du faible taux de participation, prendre comme base 50% du nombre d’électeurs d’un bureau de vote était beaucoup trop élevé. Cette mesure de contrôle a été abaissée ultérieurement à 150 voix en tant que mesure de contrôle définitif.

La plus grande difficulté rencontrée a été d’assurer le suivi du travail de vérification réalisé par les juristes de l’Unité de contrôle légal. Le bureau où ils se trouvaient était exigu, sans espace suffisant pour que les observateurs puissent circuler entre les tables sur lesquelles ils travaillaient. Ces juristes, pour la plupart, étaient peu coopératifs et peu disposés à répondre aux questions qui leur étaient posées. La révision de leur travail, réalisée par le Directeur du CTV et ses collaborateurs techniques dans le cadre du contrôle final de qualité, s’est déroulée dans un espace de travail plus favorable, ce qui a permis une supervision plus rigoureuse.

Séances de debriefing des observateurs à court terme et des coordonateurs
Pendant les séances de debriefing, les observateurs et les coordonnateurs ont pu parler librement de leurs expériences, de leurs points de vue et de leurs observations. Ceci a permis d’établir un dialogue franc entre le “Groupe noyau” et les agents sur le terrain. Ces séances de debriefing revêtaient également une importance cruciale pour la Mission conjointe, et cela pour plusieurs raisons. Elles permettaient au « Groupe noyau » de s’assurer que les rapports de la Mission, ses communiqués de presse et ses commentaires publics sur le processus électoral reflétaient pleinement les points de vue et les observations des observateurs. Ceci était particulièrement vrai en ce qui concerne le rapport détaillé rendu public par la Mission conjointe le 29 novembre qui faisait l’évaluation du jour des élections et dans lequel elle avait conclu que les irrégularités et les fraudes constatées n’invalidaient pas nécessairement le processus. Les séances de debriefing ont également fourni un certain nombre de recommandations pratiques qui ont été incorporées à la liste soumise à l’attention du CEP. Enfin, mais cela n’en est pas moins important pour autant, elles ont fourni des recommandations pratiques propres à améliorer le travail et le fonctionnement de la Mission.

Autres séances de debriefing
La Mission conjointe a également tenu des séances de debriefing avec les missions des organisations internationales ayant participé à la supervision du jour des élections – la Mission d’experts électoraux de l’Union européenne, la Mission d’observation des élections de l’Organisation internationale de la francophonie et les représentants des ambassades qui avaient déployé des observateurs (les États-Unis, le Canada et le Japon). Cette séance a mis en lumière le fait que les missions d’observation des organisations internationales avaient la même appréciation du jour des élections que la Mission conjointe – désorganisation, irrégularités, incidents de violence et de fraude – mais qu’elles s’opposaient à l’annulation des élections.

Le Mission conjointe a également rencontré le chef de l’un des plus importants groupes locaux d’observation des élections, le RNDDH, pour un échange de vues sur le jour des élections. Il est également à noter que les rapports des groupes de la société civile (Forum économique du secteur privé) et des groupes haïtiens d’observation des élections (le RNDDH, JuriMedia) qui ont été mis à la disposition de la Mission, malgré leur mise en accusation cinglante des défaillances, des irrégularités et des fraudes qui ont terni le jour des élections, n’ont pas demandé l’annulation des élections.

Publication des résultats préliminaires
La publication des résultats préliminaires des élections dans la soirée du 7 décembre a été suivie immédiatement par de violentes manifestations en faveur de M. Martelly qui figurait à la troisième place, et non pas à la deuxième place, comme ses partisans et lui-même s’y attendaient. Les troubles ont paralysé Port-au-Prince et Les Cayes ainsi que d’autres régions du pays pendant près de trois jours. Outre M. Martelly, les résultats ont été rejetés par plusieurs des principaux acteurs internationaux comme étant en contradiction avec le comptage des voix réalisé par des organisations de la société civile haïtienne.

Dans l’espoir de résoudre ce nouveau problème, le CEP a proposé de créer une commission spéciale de vérification qui serait composée de représentants du CEP lui-même, d’organisations d’observation des élections nationales et internationales, du secteur privé et de la communauté des donateurs. Cette proposition a été rejetée par les groupes de la société civile qui ont fait valoir que cela n’était pas prévu par la Loi électorale. Suite à ce revers, le 13 décembre, le Président Préval a demandé l’aide de l’OEA sous la forme de deux missions d’experts – l’une pour vérifier la tabulation des résultats préliminaires de l’élection présidentielle et la deuxième pour accompagner la phase de contestation de l’élection présidentielle.

Les retards qui en ont résulté pour la continuation du processus électoral ont causé des problèmes logistiques et opérationnels à la Mission conjointe. Ses coordonateurs ont quitté le pays entre le 17 et le 21 décembre et la Mission conjointe a fonctionné pendant les deux derniers mois avec un nombre de membres extrêmement réduit.

La Mission conjointe a utilisé le laps de temps qui s’est écoulé entre la proclamation des résultats préliminaires contestés et la poursuite du processus électoral pour se livrer à une analyse de ces résultats, exprimer un certain nombre de préoccupations et poser des questions, dont certaines avaient également été soulevées par des candidats, auxquelles le CEP devait apporter des explications. Parmi les questions posées figurait la préoccupation ayant trait à l’exactitude des listes d’électeurs et les difficultés rencontrées par les électeurs pour trouver leur bureau de vote ainsi que la dispersion dans plusieurs centres de vote d’électeurs ayant la même adresse. La réponse des techniciens du CEP a précisé que les dispositions de la Loi électorale de 2010 exigeaient d’augmenter le nombre de centres de vote de 785 à 1500 et que cela avait entraîné une répartition différente des électeurs dans les centres de vote. Les difficultés rencontrées par les électeurs se trouvant dans le plus grand camp pour personnes déplacées dans leur propre pays ont également été évoquées et l’explication qui en a été donnée était que les habitants du camp n’avaient pas profité de la facilité qui leur avait été offerte de s’inscrire afin de voter dans le camp lui-même. Dans une lettre adressée au CEP en date du 26 janvier 2011, la Mission a également exprimé sa préoccupation concernant le nombre important de bureaux de vote où le scrutin n’était pas allé jusqu’au bout et a recommandé de recommencer le scrutin dans les endroits où plus de 10% des procès-verbaux n’avaient pas été reçus et où un nombre considérable d’électeurs avaient été privés de leurs droits.

La Mission conjointe a également donné suite aux dénonciations de fraude présentées par le groupe étatsunien Haiti Democracy Project et a répondu à l’organisation sur la base de ses constations après avoir attiré l’attention du CEP sur les préoccupations de ce groupe.

Mission d’experts de l’OEA pour la vérification de la tabulation
Retardée à cause des préoccupations du Gouvernement haïtien concernant la nature trop interventionniste des termes de référence initiaux et sa composition, la Mission d’experts est arrivée le 30 décembre et est repartie le 9 janvier 2011. Son rapport a été officiellement remis au Président Préval le 13 janvier par le Chef de la Mission conjointe d’observation des élections OEA-CARICOM. Les fuites immédiates concernant le rapport par l’un des experts ont diminué l’intégrité de la Mission d’experts et de son travail. Bien que mécontent des fuites concernant le rapport, de certains aspects de la méthode utilisée et de l’idée que cette Mission avait usurpé les attributions du CEP et donné des résultats, le Président a transmis officiellement le rapport au CEP, pour mise en application, le 18 janvier. Le CEP a immédiatement fait savoir qu’il mettrait en application les recommandations techniques en vue d’améliorer le deuxième tour des élections. Il a également indiqué qu’il tiendrait compte de la recommandation concernant la place du deuxième et troisième candidats à la Présidence pendant la phase de contestation et de recours du processus électoral qui avait été suspendue dans l’attente de la vérification et du rapport de la Mission d’experts de l’OEA.

La Mission d’experts juridiques de l’OEA et la phase de contestation et de recours
La deuxième Mission d’experts de l’OEA est arrivée en Haïti le 24 janvier dans le but d’accompagner la phase de contestation et de recours du processus électoral, qui avait repris, ainsi que les décisions relatives aux plaintes concernant les résultats préliminaires de l’élection présidentielle prononcées par le Bureau du contentieux électoral national (BCEN). Son rapport a été transmis au Gouvernement haïtien le 4 février 2011.

La Mission conjointe a observé la phase de contestation et de recours ayant trait aux élections législatives devant le BCEN. Étant donné les retards qu’accuse le processus électoral et le départ de ses observateurs et de ses coordonateurs à la mi-décembre, la Mission a été fortement gênée pour réaliser la supervision du processus au niveau local (Bureaux du contentieux électoral départementaux – BCED). Au niveau du BCEN, la Mission a observé avec satisfaction qu’un grand nombre de plaintes avaient été présentées par les candidats aux élections législatives. Ils se sont prévalus des recours juridiques prévus par la Loi électorale afin d’essayer d’obtenir que l’on fasse droit à leurs réclamations concernant les irrégularités ou les fraudes qui, affirmaient-ils, avaient eu une incidence négative sur leurs résultats. Ce recours à une procédure légale régulière dans le cadre d’une élection revêtait une importance cruciale car il démontrait que les griefs peuvent être abordés effectivement par des procédures de l’État de droit.

Proclamation des résultats définitifs du premier tour
Lorsque la phase des contestations et des recours a pris fin, les résultats définitifs du premier tour des élections présidentielle et législatives ont été proclamés dans la matinée du 3 février 2011, après une longue attente qui a duré toute la nuit. Ceci a mis fin à la crise politique qui était la conséquence des résultats préliminaires contestés de l’élection présidentielle.

Selon le calendrier électoral révisé, le deuxième tour des élections présidentielle et législatives aura lieu le 20 mars 2011.

Communication et information
Depuis son arrivée en Haïti en août 2010, la Mission conjointe a accordé une place de choix à sa stratégie de communication. Elle a publié 18 communiqués de presse, à ce jour, et son Chef de mission a participé à un nombre important d’interviews et à quatre conférences de presse auxquelles ont assisté de nombreux représentants des médias nationaux et internationaux. Elle a également organisé des séances d’information générale sur le processus électoral à la demande de représentants de médias internationaux arrivés depuis peu en Haïti. En plus de diffuser des informations sur ses activités, ses observations et ses préoccupations, elle a également adressé un certain nombre de recommandations au CEP ainsi qu’aux partis politiques et aux candidats. L’importance de respecter la Loi électorale et ses procédures légales régulières a été un leitmotiv et un thème récurrent dans les informations diffusées par la Mission conjointe.

Conclusions
La Mission conjointe a dû travailler dans un environnement politique particulièrement difficile. Comme cela a été dit plus haut, le manque de confiance dans le CEP et l’opinion généralisée qu’il était partial et qu’il penchait en faveur de la plateforme au pouvoir et de ses dirigeants ont constitué un obstacle de poids à l’intégrité et à la crédibilité du CEP, obstacle que cette institution n’a pas été capable de surmonter. La mauvaise gestion des étapes cruciales du processus a miné encore davantage le peu de crédibilité qui lui restait.

Le fait que l’OEA ait participé institutionnellement à la préparation des élections par le biais de l’assistance technique qu’elle a dispensée à l’Office national de l’identification (ONI), instance responsable de délivrer des cartes d’identité permettant de voter, a suscité des critiques à l’égard de la Mission, accusée d’être à la fois juge et partie dans le processus électoral. Des facteurs politiques négatifs supplémentaires ont été le boycott des élections par un certain nombre de partis politiques traditionnels ou autres, l’atmosphère nocive créée par les allégations d’intimidation et de fraude massive avant les élections et l’absence aux élections, en particulier, du parti Fanmi Lavalas. La crise politique qui a été le résultat des élections contestées et le rôle que l’OEA était appelée à jouer afin de contribuer à trouver une solution à cette crise, ont ajouté une nouvelle couche de complexité au contexte politique.

Les conditions défavorables dans lesquelles la Mission a travaillé ont posé, elles aussi, de multiples problèmes. La Mission conjointe a dû se contenter de beaucoup moins de ressources que ce qu’elle avait demandé. L’une des conséquences les plus importantes a été l’incapacité de la Mission de conserver les services des observateurs et des coordonnateurs jusqu’à ce que l’étape retardée des différends et du contentieux ait finalement lieu. Outre les préoccupations en matière de sécurité et de logistique, la Mission a également dû faire face à la menace que représentait l’épidémie de choléra qui s’était déclarée à la fin du mois d’octobre et recommander des mesures de précaution et de prévention aux observateurs.

La Mission conjointe a bénéficié de relations de travail excellentes avec les différentes parties prenantes haïtiennes – les partis politiques et les candidats, les autorités gouvernementales et municipales, la société civile, les médias – et avec les acteurs internationaux qui ont participé au processus électoral. La gamme étendue de recommandations formulées par la Mission conjointe et par la Mission d’experts de l’OEA pour la vérification de la tabulation des votes peut contribuer à une amélioration de l’organisation et des procédures au deuxième tour des élections et, par là même, aider à restaurer la crédibilité et la légitimité d’un processus contesté. Le CEP a d’ores et déjà pris des mesures visant à mettre en application un certain nombre de ces recommandations.

Le calme avec lequel le pays a accueilli les résultats définitifs du premier tour des élections a démontré l’acceptation du fait que dans les élections, qui sont un aspect crucial du processus démocratique, il y a des vainqueurs et des perdants. L’acceptation paisible des résultats des élections est également une preuve que la démocratie fait sentir ses effets dans l’ensemble de la société et c’est pourquoi il faut féliciter le peuple haïtien, ses dirigeants politiques et le gouvernement.








Référence : F-01