La CIDH suit avec une préoccupation particulière la situation politique et institutionnelle en Haïti et appelle au dialogue dans le strict respect des droits humains et de l'État de droit

23 février 2021

Washington, D.C. - La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) note avec une préoccupation particulière les violences, le recours excessif à la force et la tentative d'interruption de l'ordre constitutionnel et de déstabilisation des institutions démocratiques du pays observés depuis le 7 février 2021. Dans ce contexte, la Commission prie instamment l'État de garantir le plein respect de ses institutions démocratiques et l'indépendance des trois pouvoirs et appelle tous les acteurs politiques et sociaux à se conformer aux canaux de dialogue institutionnel et politique dans le strict respect des principes et règles du cadre constitutionnel et démocratique. De même, l'État doit garantir le droit de manifester conformément aux normes internationales en la matière.

Selon des informations rendues publiques et reçues par le biais de ses divers mécanismes de suivi, la CIDH observe une augmentation des tensions politiques et sociales depuis le 7 février. Et ceci, dans le contexte des interrogations sur la durée du mandat présidentiel. À ce sujet, la Commission constate avec préoccupation que cette situation aurait abouti à l'arrestation d'au moins 23 personnes supposément impliquées dans une tentative manquée de coup d'état. De même, elle signale que, pendant le week-end du 6 février, un juge de la Cour suprême se serait autoproclamé président par intérim et que trois juges de cette même Cour ont été mis à la retraite par arrêté présidentiel du 8 février. La CIDH réaffirme son communiqué de presse du 22 Janvier 2020 par lequel –dans le contexte de la fin du mandat des deux tiers du Sénat et de 119 mandats de membres de la Chambre des députés– a réitéré la nécessité de reprendre le dialogue politique et préserver les institutions démocratiques. La CIDH exhorte l'État à enquêter et à clarifier tous les aspects de ces incidents et actes et prendre des mesures pour la non-répétition et le rétablissement de la confiance du public envers les institutions.

Par ailleurs, la Commission souligne que ces actes se sont déroulés dans un contexte de protestations et de forte violence sociale à Port-au-Prince ainsi que de plaintes pour recours excessif à la force. En particulier, d'après les informations communiquées par le Bureau du Rapporteur spécial pour la liberté d'expression, le 8 février, deux journalistes auraient été victimes d'une agression et blessés avec des balles en caoutchouc alors qu'ils couvraient les affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre dans le quartier du Champ-de-Mars, à Port-au-Prince. Alvales Destiné, journaliste et fondateur de la chaîne Actualités Locales TV, aurait été atteint à la main par un coup de feu tandis que Jeanril Méus, journaliste sur Tele Pam, aurait reçu une balle dans l'abdomen. Les deux journalistes ont été transportés d'urgence à l'Hôpital Bernard Mevs. Selon les informations recueillies par le Bureau du Rapporteur spécial, Jeanril Méus est dans un état critique et doit subir une intervention chirurgicale. De même, la CIDH a observé que de nouvelles manifestations ont eu lieu le dimanche 15 février, lorsque, selon les informations rendues publiques par la presse, des milliers de personnes ont occupé les rues de la capitale Port-au-Prince. A cette occasion, des tirs d'armes non létales et l'utilisation de gaz lacrymogène ont été signalés. Ces événements ont fait au moins une personne décédée et plusieurs journalistes blessés.

Dans ce contexte, la CIDH et le Bureau du Rapporteur spécial ont rappelé que l'État a pour obligation de garantir le droit de manifester, ce qui inclut les droits de réunion pacifique et sans armes, d'association et de liberté d'expression. Tant dans sa dimension individuelle que collective, la protestation vise à exprimer publiquement des opinions, visions ou valeurs de contestation, d'opposition, de dénonciation ou de revendication et à revendiquer le respect des droits. De plus, elle joue un rôle central dans la défense de la démocratie. Les États doivent donc agir sur la base de la légalité des contestations ou manifestations publiques, et ce, en considérant l'hypothèse qu'elles ne constituent pas une menace pour l'ordre public.

Le Bureau du Rapporteur spécial réitère que la liberté d'expression protège le droit de constater et de communiquer tous les incidents quels qu'ils soient. Les journalistes qui couvrent les manifestations remplissent une fonction essentielle en recueillant et en diffusant les informations concernant les faits qui s'y déroulent, y compris le comportement des forces de l'ordre. Le Bureau du Rapporteur rappelle à l'État qu'il doit garantir aux journalistes le plus haut niveau de protection afin qu'ils puissent effectuer leur travail en toute liberté et informer la société sur les questions qui suscitent un intérêt public important.

En outre, la CIDH signale que ces situations surviennent dans le cadre des processus institutionnels et politiques des institutions démocratiques et des droits humains d'Haïti, tels que la préparation des élections parlementaires et les débats sur la réforme constitutionnelle. Dans ce contexte, la Commission réitère que la mise en place d'un canal de dialogue institutionnel et politique est fondamentale pour protéger et renforcer les institutions démocratiques du pays. Elle prie donc instamment tous les acteurs politiques et sociaux d'engager un dialogue dans le strict respect de l'État de droit et des droits de la personne.

Face à la situation d'instabilité politique et de tension sociale observée depuis mi-2018, sans compter les périodes d'interruption et de paralysie des services sociaux lors du second semestre 2019, marquées par des pratiques comme le Peyi Lock (pays bloqué), la CIDH réaffirme la nécessité de respecter les institutions juridiques et le cadre constitutionnel. De plus, tel qu'il a été indiqué par le biais du communiqué de presse du 22 janvier 2020, la CIDH met en évidence la relation profonde entre le respect des droits humains, la démocratie et le développement humain et économique global. La CIDH a aussi pris acte du calendrier électoral publié le 8 janvier par le Conseil Électoral Provisoire d'Haïti. À cet égard, la CIDH exhorte tous les acteurs à respecter les moyens et les instruments de participation et réclamation autorisés par la Constitution et conformément à la législation et aux normes interaméricaines.

Enfin, la CIDH réitère qu'elle continue d'assurer le suivi des aspects structurels et systématiques des tensions politiques et sociales au sein de l'État haïtien au moyen de la Cellule de coordination et de riposte opportune et intégrée (SACROI).

La CIDH est un organe principal et autonome de l'Organisation des États américains (OEA), dont le mandat découle de la Charte de l'OEA et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. La Commission interaméricaine a pour mandat de promouvoir le respect et la protection des droits humains dans la région et agit comme organe consultatif auprès de l'OEA en la matière. La CIDH est composée de sept membres indépendants élus par l'Assemblée générale de l'OEA à titre personnel et qui ne représentent ni leur pays d'origine, ni leur pays de résidence.

La CIDH est un organe principal et autonome de l'Organisation des États Américains (OEA) dont le mandat émane de la Charte de l'OEA et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. La Commission interaméricaine a pour mandat de promouvoir le respect et la défense des droits de l'homme et de servir, dans ce domaine, d'organe consultatif de l'OEA. La CIDH est composée de sept membres indépendants, élus à titre personnel par l'Assemblée générale de l'OEA et qui ne représentent pas leurs pays d'origine ou de résidence.

No. 038/21