Speeches and other documents by the Secretary General

44EME ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EXTRAORDINAIRE DE L'OEA

22 mars 2013 - Washington, DC

La présente session extraordinaire marque la fin d’un processus engagé il y a près de 2 ans, lors de l’Assemblée Générale de San Salvador. La déclaration de M. Hugo Martínez, Ministre des relations extérieures d’El Salvador et Président de cette Assemblée générale, ratifiée par la séance plénière, chargeait « le Conseil permanent d’approfondir le processus de réflexion sur le fonctionnement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans le contexte de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et de son statut, en vue de renforcer le Système interaméricain des droits de la personne, et de présenter ses recommandations aux États membres dans les meilleurs délais ».

Mais le début du processus actuel et la valeur qu’il revêt pour l’OEA ne peuvent se comprendre qu’en situant celui-ci dans sa perspective historique. Dans ses 50 ans d’existence, notre système interaméricain des droits de la personne (ci-après SIDH) a connu des transformations d’envergure. Ses origines se confondent avec celles de notre Organisation, en 1948, avec l’adoption de la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’homme et de la Charte constitutive de l’OEA à Bogota (Colombie).

Toutefois, seulement 11 ans plus tard, dans le cadre de la Réunion de consultation des ministres des relations extérieures tenue à Santiago (Chili), la Commission interaméricaine des droits de l’homme a été établie. Une fois approuvé son Statut, la CIDH est entrée en fonctions en 1960. La CIDH nait dans un contexte défavorable pour tout niveau de développement en matière de droits de la personne, et cependant, notre attention est retenue par la nature décisive et la force avec lesquelles elle a fait face aux situations adverses que connaissaient plusieurs États membres de l’OEA, à quoi s’ajoute l’insistance relative à un élargissement de ses fonctions de sorte qu’elle puisse protéger effectivement les victimes d’abus.

Pendant plus de 20 ans, à une époque particulièrement sanglante de l’histoire de notre continent, marquée par les violations massives et systématiques des droits de la personne, dans divers pays de la région et même de façon coordonnée entre les États, en appliquant les doctrines de sécurité nationale, la CIDH a été le seul mécanisme de protection des droits de la personne, jusqu’à l’entrée en fonctions de la Cour en 1979.

Je voudrais insister sur ces dates, car le fonctionnement de la Commission interaméricaine précède, de 20 ans, la Convention de San José et la création de la Cour. La construction complète du système a duré 20 ans : elle a commencé par l’entrée en fonctions de la Commission en 1960, elle s’est poursuivie avec l’approbation de la Convention en 1969 et s’est terminée par l’entrée en fonctions de la Cour, en 1979.

L’évolution positive de la réalité régionale a rendu plus complexe la relation entre les organes du SIDH, les États membres et la CIDH. À l’étape qui a suivi les dictatures et les guerres civiles, marquée par de nouveaux processus de construction démocratique, la CIDH a diversifié et élargi ses thèmes de travail, ses pratiques et ses fonctions, en accord avec la nouvelle réalité dans la région et les exigences de notre Charte démocratique interaméricaine.

Dès le début des années 90, face à la demande d’un groupe d’États, la Cour, dans son avis consultatif numéro 13, confirme la faculté de la CIDH de qualifier la compatibilité de lois internes des États membres avec la Convention interaméricaine.

Mais la question de fond était déjà comment articuler les relations entre la CIDH et les États membres en démocratie. À l’AG tenue à Managua (Nicaragua) en 1993, l’argument central était l’adaptation du système à la nouvelle réalité des droits de la personne dans la décennie des années 90. On parlait d’un système interaméricain “renouvelé”, de réduire le rôle de défense des droits de la personne de la CIDH et de la pertinence que le rôle de promotion assumait à cette nouvelle époque; d’obtenir une représentation géographique appropriée; et même, de la possibilité de fusionner la Commission et la Cour en un seul organe, une Cour, entre autres.

En 2000, à Windsor au Canada, la résolution AG/Res. 1701 décide de poursuivre le processus de perfectionnement et de son renforcement du SIDH par le biais du dialogue systématique et permanent entre les États, les organes du Système et les autres acteurs pertinents. Cette résolution identifiait également sept secteurs de recommandations relatives à la procédure pour la Commission et celle-ci, se faisant l’écho des recommandations formulées, a modifié diverses facettes essentielles de sa procédure, ce qui lui a permis de faire son travail de façon plus efficace.

En 2004, un processus de réflexion a pris naissance au sein de la CAJP relativement au SIDH basé sur la résolution 2030 de l’AG de cette année-là, qui portait sur le “Renforcement des systèmes de droits de la personne à titre de suivi du Plan d’action du Troisième Sommet des Amériques”. Les recommandations résultant de ce processus se sont traduites par l’adoption du “Programme d’élimination du retard dans le traitement des affaires” par la CIDH. De nouveau, dans le cadre de la CAJP en 2008 et 2009, un nouveau processus de réflexion a été institué, dont les résultats se sont reflétés en plus ou moins grande mesure dans l’adoption d’un nouveau règlement par la CIDH le 9 décembre 2009.

Comme la plupart de nos critiques semblent en savoir peu relativement à ce processus! Le dialogue entre les organes politiques et la Commission existe depuis plus de 20 ans et cela, loin de détériorer ou de menacer le Système, l’a rendu encore plus pertinent.

Tout au long de ce processus, tout comme dans le processus actuel, il faut souligner le rôle fondamental de la société civile. Les organisations de la société civile ont joué un rôle fondamental dans l’établissement, le développement et le renforcement du SIDH. Leur courage pour défendre la survie du système lors de ses difficiles débuts, persévérant toujours dans la recherche de vérité et de justice, ainsi que leur exigence permanente de respect pour l’autonomie essentielle de leurs organes méritent notre reconnaissance. Elles sont toujours les bienvenues au sein de cette Organisation, et en particulier de cette Assemblée extraordinaire.

C’est dans ce cadre historique que nous devons insérer nos discussions aujourd’hui: nous avons eu un processus de dialogue constant entre les États membres, la CIDH et les acteurs de la société civile qui, bien que l’étape actuelle dure depuis plus de 18 mois, a une continuité beaucoup plus grande, vu dans une perspective historique.

Nous avons entrepris nos travaux le 29 juin 2011 avec la création, au sein du Conseil permanent, d’un “Groupe de travail spécial chargé d’examiner le fonctionnement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme en vue de renforcer le système interaméricain des droits de la personne”. Ce groupe s’est mis à la tâche pour réaliser son mandat pendant presqu’un an, recevant tous ceux qui ont voulu qu’il les écoute, dans un dialogue permanent avec les organes du système et dans le strict respect de leur autonomie.

Ce respect total de l’autonomie s’est reflété très clairement dans le rapport du Groupe de travail que le Conseil permanent a approuvé en janvier 2012. Son principal contenu (53 des 68 recommandations) s’adresse à la Commission. Cette caractéristique se maintient quand l’Assemblée générale, à l’occasion de sa quarante-deuxième session ordinaire en juin 2012, à Cochabamba (Bolivie), a accueilli le rapport du Groupe de travail et a chargé le Conseil permanent de formuler, sur la base du rapport, des propositions visant son application dans un dialogue avec toutes les parties concernées. C’est pour cela, et seulement pour cela, que nous sommes ici aujourd’hui.

J’espère que cette Assemblée prendra note de la façon positive avec laquelle la CIDH a répondu aux préoccupations dont les États membres lui ont fait part à Cochabamba et que nous pourrons clore cette discussion en faisant preuve d’un soutien réel à notre Commission interaméricaine des droits de l’homme.

Nous nous entendons également en ce qui concerne notre aspiration à l’universalité du système, manifestée dans l’appel lancé à tous les États membres de l’OEA pour qu’ils adhèrent à l’ensemble des instruments et organes qui le constituent, ainsi que sur la nécessité que les États membres, dans le cadre du respect de leur souveraineté et de leur autodétermination, respectent les résolutions des organes du Système.

Bien qu’au cours des dernières semaines cette aspiration a été ventilée avec plus de force, il me semble utile de rappeler qu’elle a été proclamée plusieurs fois par le passé. Je me permets de rappeler ici, à titre d’exemple, que le Plan d’action du Troisième Sommet des Amériques, tenu à Québec (Canada) en 2001, comprend l’engagement des États membres à “Envisager de signer et ratifier, ou ratifier tous les instruments universels et interaméricains relatifs aux droits de la personne, ou d’y adhérer”. Quelque chose de semblable a été adopté lors de diverses Assemblées générales de l’OEA, en particulier celle de San Salvador, quand ce processus a été enclenché.

Il me semble important de souligner, toutefois, que comme plusieurs pays l’ont demandé au cours de cette discussion, la façon de nous approcher de l’universalité ne doit en aucun cas comporter de mesures d’exclusion, mais plutôt d’inclusion des pays qui n’ont pas signé un instrument donné. Ce ne sera pas en repoussant ou en sanctionnant, mais en invitant et en dialoguant que l’on atteindra le plus vite l’objectif fixé.

J’apprécie le sérieux avec lequel l’on a incorporé à la discussion la question du financement du système et le fait que plusieurs de nos membres aient formulé des propositions concrètes à cet égard. Plusieurs réformes proposées amélioreraient considérablement l’efficacité de notre système, mais elles entraîneraient également un coût élevé que l’Organisation n’est pas en mesure d’assumer avec ses ressources actuelles, malgré les augmentations récentes des montants alloués à la Commission et à la Cour dans le budget. C’est une question qui ne pourra pas être réglée lors de la présente Assemblée, mais je crois qu’il existe un consensus précieux concernant la nécessité que ce soit les États membres de l’OEA qui, dans un temps à déterminer, financent la totalité ou au moins les facettes essentielles du Système.

Il est aussi important qu’un consensus soit forgé au sujet du renforcement des bureaux de rapporteurs que crée la CIDH pour traiter de sujets thématiques en vue d’effectuer le suivi de questions pertinentes pour la défense des droits de la personne. Les bureaux de rapporteurs, qu’ils soient spéciaux ou non, relèvent de la responsabilité de la Commission et ses rapporteurs émettent des opinions lorsqu’ils comptent avec l’appui de ceux-ci.

• Le renforcement nécessaire de certains bureaux ne devrait pas cependant contribuer à l’affaiblissement d’autres. Je ne peux omettre de rappeler que le Rapporteur pour la liberté d’expression fut, il y a quinze ans, l’objet d’une résolution de l’Assemblée générale et ensuite du Deuxième Sommet des Présidents des Amériques. À mon avis, au lieu de limiter cette expérience, nous pouvons en tirer profit de manière constructive et nous en inspirer comme modèle pour l’expansion d’autres bureaux également indispensables. En même temps, je juge utile de renforcer le bureau du rapporteur dans la perspective d’un programme de défense élargie de la liberté d’expression qui, certainement doit inclure non seulement les questions traitant des restrictions imposées à cette liberté par les pouvoirs publics, mais aussi les répercussions nuisibles de la concentration des médias entre les mains de groupes monopolistiques, ainsi que les menaces et les crimes dont sont de plus en plus victimes les journalistes et les médias de communication sociale, et l’obligation qui incombe aux États membres de les protéger.

J’aimerais conclure mon intervention en réaffirmant une fois de plus notre appel à préserver à tout prix l’autonomie de notre système interaméricain des droits de la personne. Les citoyens et citoyennes des Amériques qui ont recours à la Commission et à la Cour se fondent sur leur conviction qu’ils se trouvent devant une institution qui se saisira de leurs cas librement et sans pression. La vertu du système que nos démocraties doivent renforcer, offre une contradiction apparente: le système est créé et maintenu par les États des Amériques pour qu’il puisse assurer la promotion des droits de la personne et la défendre, y compris contre les abus éventuels imputés à ces propres États.

Mais, cette contradiction, qui n’est qu’apparente, est reflété dans l’engagement qu’ont assumé nos gouvernements envers leurs peuples en vertu de l’article 1 de notre Charte démocratique: "Les peuples d’Amérique jouissent du droit à la démocratie et leurs gouvernements ont pour obligation de la promouvoir et de le défendre." Aucun autre organisme n’illustre mieux notre engagement que notre système interaméricain des droits de la personne.

Merci beaucoup.