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Communiqué de presse


COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L’HOMME


ANNEXE
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES

  31 mai 2002

1. La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) a mis fin à sa visite in loco en Haïti, laquelle a été effectuée sur invitation du Gouvernement Haïtien et dans le cadre de la Résolution 806 de l’OEA. La délégation était composée du responsable de la Commission, Monsieur Clare K. Roberts; du Secrétaire Exécutif, Monsieur Santiago A. Canton; du Rapporteur pour la liberté d’expression, Monsieur Eduardo Bertoni; de la Spécialiste Principale, Madame Christina Cerna; et de la Spécialiste Chargée des affaires d’Haïti, Madame Raquel Poitevien.

2. La CIDH est l’organe principal de l’Organisation des États Américains (OEA) dont le mandat est de veiller au maintien des droits humains dans l’hémisphère et dont les attributions sont déterminées dans la Convention Interaméricaine des Droits de l’Homme et de la Charte de l’OEA qui ont été ratifiées par la République d’Haïti. La Commission est composée de sept membres élus à titre personnel par l’Assemblée générale de l’OEA. La Commission mène des enquêtes et statue sur les dénonciations de violations de droits de la personne, effectue des visites in loco, élabore des projets de traités et de déclarations sur les droits de la personne ainsi que des rapports sur la situation des droits de la personne dans les pays de la région.

3. La Commission remercie le Gouvernement Haïtien pour toutes les facilités qu’elle lui a fournies pour la réalisation de cette visite et pour son invitation à visiter le pays de façon périodique afin d’assurer le suivi. Cette visite de la CIDH se fait dans le cadre de la Résolution 806 de l’OEA datée du 15 janvier 2002. Cette Résolution a été élaborée avec la collaboration du Gouvernement Haïtien et adoptée au sein de l’Organisation des États Américains. Le but de cette résolution est de restaurer un climat de confiance et de sécurité pour résoudre la crise politique en Haïti au moyen de divers mécanismes: 1) la création d’une Mission Spéciale pour renforcer la démocratie; 2) la tenue d’une investigation indépendante, par la Commission d’Enquête Indépendante, sur les événements qui se sont déroulés le 17 décembre 2001; et 3) les indemnités aux individus et organisations qui ont souffert de la violence qui s’est déchaînée ce jour-là. La Commission Interaméricaine, dans le cadre de sa compétence, a reçu le mandat d’évaluer et d’informer sur les conditions actuelles des droits humains et des événements du 17 décembre 2001. Ces activités se font en étroite collaboration avec les autres entités de l’OEA, décrites antérieurement, et avec le représentant du Secrétaire-Général de l’OEA en Haïti, tout en respectant l’autonomie et l’indépendance des activités de la CIDH.

4. Au cours de sa visite, la délégation a rencontré le Président de la République, Monsieur Jean Bertrand Aristide; le Premier Ministre, Monsieur Yvon Neptune. Elle a aussi rencontré le Ministre des Affaires Étrangères, le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, le Ministre de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, le Directeur Général de la Police Nationale d’ Haïti, l’Inspecteur Général de la Police Nationale et le Secrétaire d’État à la Sécurité Publique. La délégation a également rencontré des représentants de différents secteurs de la société civile, parmi lesquels les représentants des organisations non gouvernementales de la Plateforme des Organisations Haïtiennes des droits de la personne. De même, elle a eu des entrevues avec les représentants de différents partis politiques regroupés dans la Convergence Démocratique, et des représentants des églises catholique et protestante.

5. La CIDH a également rencontré des représentants de la Fédération Haïtienne de la Presse, l’Association des Journalistes d’Haïti, l’Association des Femmes Haïtiennes Journalistes. De plus, la CIDH s’est réunie avec les représentants des Nations Unies pour le Développement/Haïti et les représentants de la USAID. La délégation remercie aussi le Groupe des Amis d’Haïti pour leurs points de vue sur les conditions actuelles.

6. La CIDH a suivi de près la situation des droits humains en Haïti. Au cours des quatre dernières années, elle a effectué de nombreuses visites en Haïti et a produit des rapports et des documents relatifs à la situation des droits de la personne en Haïti. La Commission continuera d’effectuer des visites périodiques et produira en temps opportun des rapports sur ces visites. Au cours de ses visites périodiques, la Commission analysera, dans le cadre des ses attributions conventionnelles et statutaires, les différents droits qui sont normalement inclus dans les rapports de la Commission, tels que les droits de la femme, les droits de l’enfant, la situation carcérale, et d’autres.

7. Durant cette visite la Commission s’est principalement concentrée sur quelques aspects de l’État de Droit en Haïti qu’elle considère de grande importance pour arriver à une application pleine et entière des droits humains en Haïti. La Commission s’est particulièrement concentrée sur l’indépendance du Pouvoir Judiciaire, l’impunité, la sécurité des citoyens et la liberté d’expression.

8. Dans le cadre de la collaboration actuelle avec le Gouvernement et dans l’objectif de contribuer à la recherche d’une plus grande protection des droits fondamentaux des citoyens Haïtiens, la Commission, sur la base des fonctions et des attributions qui lui sont allouées dans l’article 41 de la Convention Américaine sur les Droits Humains, publie ses observations préliminaires des opinions obtenues avant et durant cette visite.

9. En premier lieu, la Commission désire souligner le contexte difficile dans lequel vit quotidiennement la société haïtienne. L’extrême pauvreté de la majorité de la population, les taux élevés d’analphabétisme, le taux élevé de mortalité materno-infantile, la malnutrition, entre autres aspects, créent une situation de crise sociale et sont en soi une série de violations des droits de la personne en Haïti. Dans ce contexte, le respect effectif des droits de la personne ne comporte pas seulement les droits civiques et politiques mais aussi les droits économiques, sociaux et culturels qui constituent un défi de grande envergure qui ne peut être relevé que par un engagement profond et un plan concret de développement du gouvernement haïtien, une collaboration des divers secteurs de la société et l’appui solidaire de la communauté internationale.

10. La Convention Américaine établit dans son préambule, que “l’idéal de l’être humain libre, sans peur ni misère, ne peut se réaliser qu’à travers des conditions permettant à chaque personne de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, et de ses droits civiques et politiques”. De même, le Protocole de San Salvador mentionne dans son préambule que l’étroite relation qui existe entre les droits économiques, sociaux, culturels, civiques, politiques, puisque toutes les catégories de droits constitue un tout indissoluble basé dans la reconnaissance de la dignité de la personne humaine. En ce sens, il faudrait les promouvoir et s’assurer, de façon permanente, de leur pleine réalisation, sans que jamais l’on puisse justifier la violation des uns au bénéfice des autres.

A. État de Droit en Haïti

11. La CIDH veut souligner l’importance du système démocratique et l’établissement de l’État de Droit pour la protection effective des droits humains. Dans une société démocratique, les droits et libertés inhérentes à la personne, ses garanties et l’État de droit forment une trilogie dans laquelle chacune des composantes se définit, se complète et prend un sens en fonction des autres.

12. La démocratie se fonde sur le principe que le peuple est titulaire de la souveraineté politique, et en vertu de cette souveraineté, élit ses représentants pour qu’ils exercent le pouvoir politique dans le respect des droits des minorités. Les représentants exercent ainsi le mandat de leurs électeurs qui aspirent à une vie digne, libre et démocratique qui ne peut être obtenue que par le contrôle effectif du pouvoir public et des équilibres nécessaires entre les différentes institutions de l’État. De même, les citoyens non seulement élisent leurs représentants mais participent aussi dans les prises de décision au moyen de différentes formes d’expression et d’associations pacifiques. L’établissement des droits humains nécessite un cadre juridique et institutionnel dans lequel les lois sont au-dessus de la volonté de ceux qui gouvernent et dans lequel il existe un contrôle de quelques institutions sur d’autres dans le but de préserver la pureté d’expression de la volonté populaire: l’État de Droit.

13. Selon la Charte Démocratique Interaméricaine, les éléments essentiels de la démocratie représentative sont, entre autres, le respect des droits humains et des libertés fondamentales, l’accès au pouvoir et à son exercice assujettis à l’État de Droit, aux élections périodiques, libres, justes et basées sur le suffrage universel et secret comme expression de la souveraineté du peuple; le régime pluraliste des partis et organisations politiques et; la séparation et l’indépendance des pouvoirs publics. De même, il existe d’autres composantes fondamentales dans l’exercice de la démocratie qui sont la transparence dans les activités gouvernementales, la probité, la responsabilité des gouvernements dans la gestion publique, le respect des droits sociaux, et la liberté d’expression et celle de la presse (Chartre Démocratique Interaméricaine, articles 4 et 5).

14. La Commission a été informée par les représentants de la Communauté Internationale et Nationale des efforts en vue de reprendre les négociations entre le Gouvernement et les représentants de l’Opposition. Le manque de dialogue avec les différents secteurs de la société a un effet négatif indéniable sur la protection des droits de la personne. L’expérience de la Commission a prouvé que la pleine application des Droits Humains se fait principalement à travers le dialogue avec tous les secteurs de la société. La Commission souhaite que le dialogue reprenne à court terme et qu’il permettra à tous les secteurs de la société haïtienne de participer à l’élaboration d’une politique intégrale des humains. Dans le contexte actuel en Haïti, on ne pourra avancer efficacement vers une protection des droits humains que si on laisse de côté les intérêts sectoriaux.

B. Les évenéments de décembre 2001

15. En ce qui concerne les événements du 17 décembre, la Commission renouvelle sa condamnation la plus énergique face aux actes de violence qui ont coûté la vie à plusieurs personnes, causé des blessures et provoqué des pertes énormes en biens de plusieurs citoyens. Il n’est pas de la compétence de la CIDH de déterminer les responsabilités criminelles des individus qui ont perpétré ces actes, mais elle peut insister, dans le cadre du droit international concernant l’État, qu’une enquête soit menée et que les coupables soient jugés conformément aux lois en vigueur. Ces crimes ne doivent pas rester dans l’impunité. La CIDH souligne qu’il est nécessaire et urgent de mener une enquête approfondie, impartiale et objective sur les crimes commis, de trouver les responsables et d’appliquer les sanctions appropriées. Il est particulièrement nécessaire d’enquêter sur les responsabilités de ceux qui ont ordonné, mis sur pied ou toléré la présence de personnes ou de groupes civils armés. Il est particulièrement préoccupant pour la Commission de savoir que certaines personnes identifiées comme auteurs de certains actes de violations de droits de la personne, en décembre 2001, ne sont pas poursuivies légalement.

16. La Commission a eu connaissance des initiatives prises par le Gouvernement Haïtien, avec la coordination de la Communauté Internationale et plus spécifiquement de l’OEA, en vue de restaurer un climat de confiance et de sécurité à travers la réalisation d’une enquête indépendante, menée par la Commission d’Enquête Indépendante, sur les événements du 17 décembre. La CIDH tient compte de ces initiatives et espère qu’elles permettront à identifier et à punir les responsables de ces graves violations des droits humains, ce qui permettra de consolider l’État de Droit en Haïti.

C. Administration de la Justice

17. Le pouvoir judiciaire a été établi pour assurer le fonctionnement des lois et, il est de ce fait et sans nul doute, l’organe fondamental pour la protection des droits humains. Dans le système interaméricain des droits de la personne, le fonctionnement adéquat du pouvoir judiciaire est essentiel pour prévenir les abus de pouvoir de la part des autres institutions de l’État et, par conséquent, pour protéger les droits de la personne. Pour que le pouvoir judiciaire puisse agir, de façon effective, comme organe de contrôle, de garantie et de protection des droits humains, il ne suffit pas qu’il existe formellement mais qu’il soit aussi indépendant et impartial. L’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant est vitale pour l’application constante des droits humains et de la démocratie. Il constitue un droit que les États Membres de l’OEA, comme Haïti, sont obligés de respecter et de garantir à toute personne dans sa juridiction.

18. La Commission, en août 2000, après sa visite in loco, a exprimé sa vive préoccupation sur la faiblesse du système judiciaire en Haïti ainsi que sur son manque d’indépendance vis-à-vis du Pouvoir Exécutif. Au cours de cette visite, la Commission a pu constater qu’il n’y a pas eu, malheureusement, de progrès sensibles permettant de parler d’améliorations significatives dans l’administration de la justice.

19. Le système judiciaire Haïtien souffre toujours de problèmes chroniques dont le manque de personnel, le manque de moyens financiers et de ressources logistiques. Ces carences se reflètent dans la lenteur des procès et la violation systématique des garanties judiciaires. La Commission a été aussi informée de l’inexistence de l’appareil judiciaire au niveau des Communes.

20. La Commission a exprimé, en de nombreuses occasions, la nécessité de combattre l’impunité. La Commission considère que l’impunité actuelle face aux violations des droits humains contribue, en grande mesure, à la perpétration de la violence. L’investigation, le jugement et la sanction des coupables sont des éléments fondamentaux pour l’éradication de la violence. La Commission exprime sa préoccupation sur le manque de “judicialisation” de nombreux cas de violation de droits humains qui ont affecté la population civile ainsi que la lenteur ou l’arrêt des investigations.

21. La Commission a été informée, de manière spécifique, des cas d’assassinat qui, après plusieurs années d’un début de procès, restent encore totalement impunis et d’autres où les enquêtes se sont arrêtées, par exemple, le cas du journaliste Dominique. Elle fut informée également, de manière plus générale, de l’impunité dans plusieurs cas, ce qui conduit à un manque total de crédibilité de la société haïtienne dans son système de justice. La CIDH a aussi été informée des résultats positifs des cas de Raboteau et Carrefour Feuille démontrant ainsi qu’avec la volonté on arrive à punir les coupables de violation de droits de l’homme. Même ces cas représentent un progrès, mais ceci est nettement insuffisant en considérant la grande quantité de cas qui restent toujours dans l’impunité.

22. Un autre aspect fondamental pour une administration de justice adéquate est l’indépendance totale du Pouvoir Judiciaire surtout par rapport au Pouvoir Exécutif. La Commission a pu constater que cet aspect de l’administration de la justice a de sérieuses faiblesses. Plusieurs éléments caractérisent la dépendance du Pouvoir Judiciaire face au Pouvoir Exécutif. On peut mentionner, entre autres, l’attribution du Président de la République de nommer et de révoquer les juges, des commissaires du gouvernement et leurs substituts qui représentent le pouvoir exécutif dans les tribunaux et qui dépendent du Pouvoir Exécutif. De plus, les juges de paix sont des auxiliaires des bureaux des Commissaires du Gouvernement (parquet) et travaillent sous leur direction. La Commission a également été informée du manque d’autonomie du Pouvoir Judiciaire qui dépend en grande partie des ressources de l’Exécutif. Le Pouvoir Judiciaire se caractérise par le contrôle du Pouvoir Exécutif de nommer et de révoquer des fonctionnaires du Pouvoir Judiciaire, ce qui constitue en soi une ingérence affectant gravement son indépendance.

23. La Commission exprime l’importance et l’urgence, conformément aux lois internes et aux obligations internationales issues de la Convention Américaine, d’accélérer le processus destiné à remédier au manque d’indépendance du Pouvoir Judiciaire, l’impunité et des limitations financières et de logistiques.

D. Sécurité des Citoyens

24. La Commission désire exprimer sa préoccupation sur le peu de progrès enregistrés depuis sa dernière visite. La Commission a été informée des améliorations de la Police Nationale, de son effectif, des plans envisagés pour la formation des cadets et des structures pour leur contrôle. La CIDH doit souligner qu’un effectif de 5,600 policiers appelés à garantir la sécurité de 8 millions d'habitants sur toute l’étendue du territoire national est nettement insuffisante. Les autorités concernées ont reconnu que la police est concentrée dans les zones urbaines et que les zones rurales ne bénéficient d’aucune présence policière. Cette absence de police a créé le terrain propice pour des abus et des cas de lynchage par la population. La CIDH a reçu des dénonciations sur des cas d’abus, de traitements humiliants, de torture et d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par des agents de police qui constituent des crimes de lèse-humanité qui ne sont pas susceptibles de prescription.

25. La Commission a pris connaissance des déclarations du Président Aristide sur la politique “Zéro Tolérance”. Il n’est pas de sa compétence de faire des recommandations sur le genre de politique criminelle choisie par les gouvernements. Cependant, dans le cadre de ses attributions, elle désire rappeler qu’il est fondamental, dans l’application de cette politique criminelle, de respecter les droits individuels de toutes les personnes.

26. La Commission a reçu des informations de différents secteurs sur des actes de violence policière, en particulier, d’exécutions extrajudiciaires qui pourraient avoir pour origine une mauvaise interprétation de la part de quelques officiels de la Police Nationale concernant le principe “Zéro Tolérance”.

27. A ce sujet, le Président Aristide a exprimé à la Commission sa totale conviction sur la nécessité de la politique “Zéro Tolérance” qui se ferait selon la loi et les standards internationaux de stricte respect des garanties individuelles. La Commission accueille très positivement l’explication du Président Aristide et espère que cette explication sera aussi transmise, dans les plus brefs délais, à tous les officiels de la Police Nationale d’Haïti
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E. Organisations Populaires

28. Différents secteurs ont fait part à la Commission de leurs préoccupations face aux activités des dénommés “Organisations populaires”. Elles sont actuellement définies par les autorités comme étant des groupes organisés dans les quartiers pour faire face aux problèmes de leurs quartiers. Cependant, de nombreuses personnes pensent que ces organisations sont armées et utilisées par les autorités afin d’intimider les membres de l’opposition. Certaines de ces organisations ont, il semblerait, pris part aux graves événements survenus en décembre 2001.

29. La participation politique, le droit d’association et la liberté d’expression sont des droits garantis dans la Convention Américaine et, en ce sens, les Organisations Populaires en tant que groupes de citoyens libres ou d’organisations de base appuyant le projet politique du Président, peuvent, sous certaines conditions, être un canal pour l’exercice de ces droits. Cependant, la Commission comprend que l’expression de certaines idées politiques partisanes ne peut pas se faire au détriment d’autres idées, et ne doit pas se justifier par des actes de violence ou de restriction vis-à-vis de tiers personnes qui ont une vision politique différente.

30. L’État se compromet au niveau international lorsque des groupes de civils agissent librement pour violer des droits avec l’appui ou le consentement du Gouvernement. La Commission demande au Gouvernement de mener une enquête sérieuse sur les actes de violence attribués à certaines Organisations Populaires. Elle lui demande aussi d’adopter, au plus vite, toutes les mesures nécessaires pour empêcher que ces actes ne se renouvellent dans le futur.

31. Il est particulièrement indispensable que le monopole de la force soit maintenu exclusivement par les agents de la sécurité publique. A cet effet, il est nécessaire d’enquêter sur l’existence de groupes armés et de procéder à leur désarmement de la manière la plus complète et la plus rapide que possible. La Commission reconnaît l’aspect positif des récentes déclarations du Président Arisitide concernant un programme de désarmement au niveau national. La Commission suivra de près les progrès de ce programme qu’elle considère essentiel pour arriver à un meilleur respect des droits de la personne.

F. La Liberté d’Expression

32. La liberté d’expression est l’une des principales préoccupations de la CIDH à travers l’hémisphère; à cet effet, le poste de Rapporteur Spécial pour la Liberté d’Expression a été créé et largement approuvé par les Chefs d’État et de Gouvernement lors du Sommet des Amériques, au Chili, au mois d’avril 1998. La CIDH a accordé une attention spéciale à la situation de la liberté d’expression en Haïti, dans ses rapports annuels et le rapport soumis par le Rapporteur après la visite effectuée en février de cette année. Il est important de noter, sur la base des informations reçues au cours de cette présente visite, que plusieurs des observations de la CIDH, dans ses rapports et dans ceux de son Rapporteur Spécial, sont encore valables.

33. Le manque de progrès réalisés dans les investigations sur l’assassinat des journalistes Jean Dominique et Brignol Lindor reste préoccupant. L’impunité actuelle dans les cas de journalistes assassinés contribue de façon significative à la perpétration d’actes de violence contre les journalistes. D’autre part, les informations recueillies indiquent que, en dépit du fait qu’il soit possible en Haïti de critiquer les autorités, ces critiques ont parfois mené à des menaces qui mettent les journalistes dans une position vulnérable, ont un effet intimidant et les empêchent de faire efficacement leur travail. Selon les informations reçues, cette situation les a amenées à s’auto-censurer ou à abandonner la profession. Il est nécessaire de souligner que la liberté d’expression n’est pas garantie par le seul fait de ne pas imposer de censure au préalable; les menaces dirigées contre les médias constituent-elles aussi une façon indirecte d’empêcher la liberté d’expression. Il revient à l’État de donner la protection nécessaire pour que les journalistes puissent exercer leur fonction qui est celle d’informer la population.

34. La CIDH a reçu des informations sur l’existence de lois qui pénalisent les outrages faits aux fonctionnaires publics. La CIDH s’est déjà prononcée sur l’incompatibilité de ses normes avec l’article 13 de la Convention Américaine, vu que les lois connues comme “outrage aux fonctionnaires publics” offrent une meilleure protection aux fonctionnaires qui ont un titre officiel que ne possède pas les autres membres de la société. La CIDH comprend que l’utilisation de tels pouvoirs limitent les expressions et opinions est un moyen abusif d’empêcher l’expression des idées, des opinions ou des critiques impopulaires et limitent le débat ouvert qui est fondamental pour le fonctionnement efficace de la démocratie. Il faudrait que cette norme soit révisée par l’État Haïtien conformément à l’article 13 de la Convention Américaine et aux critères établis dans la Déclaration des Principes sur la Liberté d’Expression de la CIDH.

OBSERVATIONS FINALES

35. La principale source de légitimation démocratique est la volonté populaire exprimée à travers des élections libres, périodiques et universelles. Cependant, les élections ne sont pas des éléments suffisants pour garantir une pleine application de la démocratie. Comme le signale la Charte Démocratique Interaméricaine, les éléments essentiels de la démocratie représentative sont, entre autres, le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales; l’accès au pouvoir et l’exercice du pouvoir à travers l’état de droit, la tenue d’élections périodiques, libres, justes et basés sur le suffrage universel et le secret des votes, le régime pluraliste des partis et organisations politiques; la séparation et l’indépendance des pouvoirs publics. De même, des composantes fondamentales de l’exercice de la démocratie sont la transparence dans les actions gouvernementales, la probité, la responsabilité des gouverneurs dans la gestion publique, le respect des doits sociaux et la liberté d’expression et de la presse. La subordination constitutionnelle de toutes les institutions de l’État à l’autorité civile légalement constituée et le respect à l’état de droit de toutes les entités et secteurs de la société sont également fondamentaux pour la démocratie. Dans ce contexte, le fonctionnement d’un Pouvoir Judiciaire indépendant et impartial en tant que garant de la protection des droits humains, comme moyen de recours des victimes pour obtenir justice, et comme organe de contrôle et de surveillance des opérations des autres pouvoirs de l’état est fondamentale pour un État de Droit.

36. En ce sens, la Commission désire exprimer sa vive préoccupation sur la faiblesse de l’État de Droit et du processus démocratique en Haïti, principalement dans certains domaines qui ont été observés au cours de cette visite. En particulier, la Commission désire faire mention du manque d’indépendance du Pouvoir Judiciaire, de l’impunité, de l’état d’insécurité des citoyens, de l’existence de groupes armés agissant en toute impunité et des menaces contre certains journalistes.

37. Tous ces aspects dus au manque de dialogue entre les principaux secteurs de la société, représentent une nette faiblesse des piliers fondamentaux nécessaires à l’existence d’un État de Droit dans un système démocratique selon les termes de la Convention Américaine et de la Charte Démocratique Interaméricaine.

38. La Commission demande aux autorités de l’État et aux différentes représentations de la société civile d’analyser le présent communiqué, les prochains rapports et communiqués lors des prochaines visites, et de discuter de manière constructive sur la façon d’appliquer ses recommandations en vue d’avancer vers une application complète des droits humains de tous les Haïtiens, sans aucune distinction.

39. La CIDH continuera d’observer, très attentivement, le développement de la situation des droits humains en Haïti. La visite qui touche à sa fin aujourd’hui nous a donné une grande opportunité d’approfondir le dialogue que la Commission maintient avec les autorités et la société haïtienne. La CIDH réitère son offre de collaborer avec le Gouvernement et la société dans son ensemble afin de contribuer au renforcement de la défense et de la protection des droits de la personne dans un contexte démocratique et de légalité institutionnelle. Elle espère aussi réaliser, à court terme, une nouvelle visite en Haïti pour faire le suivi des recommandations et observations préliminaires présentées dans ce communiqué.

Port-au-Prince, 31 mai 2002.

Référence : CIDH-026