ÉDUCATION POUR LA PAIX
Réunion d'experts pour concevoir un
projet de Programme d'éducation pour la paix
CONSEIL PERMANENT DE
LORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS
COMMISSION SUR LA SÉCURITÉ CONTINENTALE
|
OEA/Ser.G
CP/CSH-235/99
28 Septembre 1999
Original: espagnol |
ÉDUCATION POUR LA PAIX DANS LE CONTINENT
ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION POUR LÉLABORATION DU PROGRAMME
(Document présenté par la Mission permanente de la Colombie)
Bogota (Colombie), septembre 1999
NOTE LIMINAIRE
Ce document présente les résultats des travaux effectués par
un groupe de consultants extérieurs, spécialistes des questions liées à la paix, qui
se sont penchés sur les trois principaux axes de réflexion proposés par lOEA pour
élaborer le Programme déducation pour la paix dans le Continent, à savoir : 1. La
résolution pacifique des conflits, 2. La promotion des valeurs et pratiques
démocratiques et 3. La promotion de la paix entre les États.
Lobjectif de cet exposé est de fournir quelques éléments de
réflexion aux participants qui assisteront à la réunion dexperts en vue de
concevoir un projet de Programme déducation pour la paix dans le Continent.
TABLE DES MATIÈRES
NOTE LIMINAIRE
- PREMIER AXE DE RÉFLEXION : RÉSOLUTION PACIFIQUE DES CONFLITS
INTRODUCTION
DÉFINITIONS RELATIVES À LEXERCICE DE LA PAIX
PROPOSITIONS DÉDUCATION POUR LA RÉSOLUTION PACIFIQUE DES CONFLITS
CRITÈRES DÉVALUATION
DEUXIÈME AXE DE RÉFLEXION : PROMOTION DES VALEURS ET PRATIQUES DÉMOCRATIQUES
INTRODUCTION
CONDITIONS PRÉALABLES DE CONNAISSANCE
STRATÉGIES DE GÉNÉRALISATION DES PRATIQUES DÉMOCRATIQUES
INSTRUMENTS POUR LA FORMATION AUX VALEURS ET PRATIQUES DÉMOCRATIQUES
RÉVISION DU DISCOURS PÉDAGOGIQUE ET DE LA PRATIQUE DE LÉDUCATION
CRITÈRES DÉVALUATION
TROISIÈME AXE THÉMATIQUE: LA PROMOTION DE LA PAIX ENTRE LES ÉTATS
INTRODUCTION
ÉDUCATION ET PROMOTION DE LA PAIX
SCÉNARIOS ET INTERVENANTS
I
PREMIER AXE DE RÉFLEXION
RÉSOLUTION PACIFIQUE DES CONFLITS
INTRODUCTION
Tout au long de ce siècle, les nations et les peuples du monde, y
compris ceux de ce Continent, ont exprimé les idéaux de paix et de coexistence les plus
élevés en ce qui concerne les droits fondamentaux. Ils ont également montré
quils aspiraient à la construction dune culture qui discrédite le recours à
la guerre et à toute forme de violence comme moyen de résolution des conflits, de
définition du pouvoir politique et de projet de société, dÉtat ou de nation.
Force nous est de constater quau moment où ce siècle touche à sa fin, la violence
dans le monde et sur ce continent na pas reculé. Les guerres entre États, les
insurrections et les conflits sociaux qui font rage et sexpriment sous diverses
formes de violence affectent plusieurs peuples et nations.. 1
Comment peut-on comprendre quau
moment où le monde a réalisé dénormes progrès techniques et où il existe une
conscience universelle de limportance de la paix et du respect de la dignité
humaine, la guerre et dautres formes de violence aient un impact aussi dévastateur
dans le monde ? Il est difficile de donner une réponse totalement satisfaisante mais
il est évident que la paix na pas été assumée dans la construction des
imaginaires collectifs, dans le génie des nations ou dans la vie quotidienne des
sociétés. Laissée au bon vouloir des individus, des responsables gouvernementaux, des
commandants des forces armées, de ceux qui font la guerre, de ceux qui créent les
réseaux de violence, ou qui les appuient, la paix nest que linvocation
dune chimère. La paix ne deviendra pas réalité si on ne peut construire des sujets
sociaux, politiques et économiques (individus et collectivités) capables
déradiquer toute forme de violence quelle quelle soit. Il est évident que
dans lordre politique, économique et social actuel, il nexiste pas de bases
sur lesquelles édifier une nouvelle coexistence, les conflits éclatent parce que
linjustice règne, que des déséquilibres structuraux existent et que les
institutions nont pas les moyens de résoudre pacifiquement ces conflits. Il ne sert
à rien de progresser dans la formulation didéaux politiques prônant la
coexistence ou de promulguer des constitutions et des lois pour la sauvegarde de la vie et
de la dignité humaine si on ne peut compter sur des êtres, des pratiques
quotidiennes, des valeurs et des capacités propres à favoriser la paix.
La construction ou la création de sujets sociaux, économiques et
politiques est une uvre humaine qui est très différente des autres produits faits
par lhomme. À la différence de la production dobjets, qui est une affaire
achevée, statique, fruit dune action externe sur une matière inerte, la création
de sujets est une tâche inachevée, de nature dynamique, le résultat dun processus
dautoconstitution, sensible à lévolution du milieu. La comparaison avec le
potier qui donne une forme aux objets en les pétrissant avec souplesse et créativité,
exprime mieux ce processus que celui de la construction. Que ces sujets soient le
résultat de lautoformation, de lautocréation ou de lautoconstitution,
ne signifie pas quil ny ait pas dautres sujets qui interviennent dans le
processus. Il est absolument indispensable que ces derniers existent dans les relations
intersubjectives et de groupes qui se tissent par la coopération et le conflit, pour
former des sujets sociaux, politiques et économiques.
Que le sujet humain ne se construise pas dans lisolement signifie
que lon doit découvrir lessence de la formation des êtres humains. La
formation de sujets politiques, économiques et sociaux, suppose donc des structures
sociales, politiques et économiques qui précèdent cette formation et qui sont
reproduites et affirmées dans le processus de « socialisation ». Dans ce
sens, les sujets sont formés selon des modèles de société, de mandats politiques et de
relations économiques. Il ne sagit pas uniquement de modèles idéaux, pensés
comme des formules abstraites. Il sagit de modèles agissants, qui opèrent dans des
relations sociales. Tout comme lartisan qui reproduit un modèle sans que ses
pièces soient exactes, les mains invisibles dun artisan collectif, unies aux mains
de chaque individu, donnent forme à un type de sujet, et essaient de le façonner sur le
modèle des idéaux et aspirations dune société donnée. Lensemble de ce
processus est luvre culturelle.
Si la guerre parvient à pénétrer de manière impitoyable dans la vie
dune société ou dans les relations entre nations et États, si la violence occupe
lespace de linteraction sociale, est-ce que cela signifie quune
société ou plusieurs nations et Etats ont comme modèle le guerrier et le
prédateur ? Pas du tout, ou du moins pas forcément. Cela signifie plutôt que dans
la réalité de la guerre et de la violence, assimilées à des instruments de cessation
des conflits sociaux, la force convertie en agression et en violence lemporte sur la
coopération, la solidarité et la reconnaissance de la dignité humaine, ces derniers
aspects qui continuent dêtre présents dans les sociétés, les nations et les
États affectés par diverses formes de violence. Il est évident que la prévalence de la
violence implique une certaine forme d« échec » des processus de
socialisation tendant à la paix et à la coexistence, comme lavaient exprimé les
nations au cours de ce siècle finissant, idéaux qui sont devenus dautant plus
précieux après lexpérience effrayante des guerres mondiales et autres conflits
non moins épouvantables..
Ce document prend comme point de référence la réalité sociale et
politique de la Colombie à quatre mois de la fin du XXe siècle. Il prétend rechercher
ce que nous pouvons réaliser, nous qui sommes responsables des processus éducatifs, pour
concevoir des propositions déducation pour la paix, plus particulièrement en ce
qui concerne la résolution pacifique des conflits. Bien que le pays de référence soit
la Colombie, nous voudrions que ce document contribue à forger une éducation pour la
paix sur le Continent, pour que les nations et les États des Amériques forment un tissu
résistant à la tentation de la guerre et aux confrontations violentes face aux conflits
internes et externes.
DÉFINITIONS RELATIVES À LEXERCICE DE LA PAIX
Il convient de définir les termes que nous employons. Les définitions
que nous allons donner ne sont pas absolues, elle ne prétendent pas régler les
discussions. Elles sont plutôt une invitation à approfondir la réflexion. Elles doivent
être formulées de manière à encourager la discussion et la réflexion sur le
Continent, en tenant en compte de la situation particulière de chaque nation, de sa
vocation et de son identité propres. Le langage qui est utilisé est à la fois une
proposition duniversalité et didentité.
- Quentendons-nous par les termes éducation et paix, quentendons-nous par
éducation pour la paix ?
Quand nous parlons de léducation, nous nous référons au processus global ou
intégré de formation des êtres humains comme sujets sociaux, économiques et
politiques, conformément à lenvironnement qui les précède, cest-à-dire
les structures sociales, économiques et politiques, qui déterminent un modèle
dhumanité et un projet de société ou dÉtat. Le processus de formation des
êtres humains, que nous appelons éducation, suppose la liberté et par conséquent, la
capacité de transformer la réalité sociale, qui peut sexprimer notamment par la
désobéissance face à des structures dinégalité ou dinjustice. Mais cela
suppose aussi que les données se limitent à la réalité et à un cadre de
compréhension préétabli qui précède les sujets. Tout ce processus dinteractions
ou de médiation entre le social et le particulier, de connexions entre la réalité et
les limites du possible, des rêves et de limaginaire qui impulsent les
transformations, est luvre culturelle.
Sous cet angle, léducation va bien au-delà de lactivité
scolaire ou des processus déducation dans le système formel denseignement
scolaire. Elle englobe linsertion dans la dynamique sociale et politique et dans les
activités économiques, les pratiques quotidiennes, les relations intersubjectives, la
vie familiale, le travail, bref, léducation englobe toutes les dimensions de la vie
humaine. Lensemble du tissu social se conçoit comme une institution éducatrice.
Le concept de la paix a évolué, allant dune conception
négative de la paix qui la présente comme une absence de guerre, à une conception
positive. La paix est donc une expérience beaucoup plus ample que les cessez-le-feu ou le
non éclatement des guerres dans la vie des nations. La paix est lensemble des
conditions structurelles grâce auxquelles la société peut vivre dans la justice et
léquité avec la suppression de toutes les formes de discrimination,
doppression et de violence. . 2
Léducation pour la paix réunit le concept déducation et
de paix. Elle met laccent sur lopposition à toute forme de violence (y
compris la violence symbolique et les structures dexclusion), elle fait appel à la
transformation des personnes comme théâtre daction immédiate, elle perçoit ce
processus dassimilation des valeurs favorables à la vie et au respect de la
dignité humaine comme une décision libre et engagée de chaque sujet au processus
formateur et cherche à intégrer les contenus conceptuels et lapprentissage des
attitudes, techniques et capacités pour la coexistence pacifique au sein de laquelle la
solution pacifique des conflits est un élément fondamental. .3
Nous avons dit que léducation est un processus
dautoconstitution des êtres humains comme des sujets sociaux, économiques et
politiques, que ce soit en termes individuels ou particuliers ou en termes sociaux ou
collectifs. Ce processus se forge dans linterrelation subjective à laquelle
participent divers intérêts, visions du monde, caractères, situations et surtout, des
relations asymétriques dans la distribution du pouvoir et la répartition de la richesse.
Cest parce quil y a diversité que surgissent les conflits, qui non seulement
sont inévitables mais font partie de la structure de la vie humaine.
Si nous portons un regard négatif sur les conflits, nous les voyons
comme des événements nocifs et des obstacles à la paix. Lidéal pour la
coexistence pacifique serait une société sans conflits. Cette vision est ingénue et
comporte, de manière moraliste, la poussée des conflits. Un regard différent, positif
et optimiste, nous mène à considérer les conflits comme un moyen de croissance de
lhomme et des communautés. Cest pour cela que la paix ne peut être
instaurée sil ny a pas de conflits. La paix ne soppose pas aux conflits
mais à la violence.. 4
La violence est lune des manières de traiter et de faire cesser
les conflits, mais elle constitue toujours le moyen de les durcir. Les solutions faisant
appel à la violence entraînent de nouveaux conflits avec des cycles de plus en plus
violents. Et pourtant les conflits ne conduisent pas toujours à la violence, il est
possible den négocier la résolution par des mécanismes pacifiques.
De même que le conflit et la violence ne sont pas autoimpliqués, la
violence et la force ne sont pas non plus des concepts qui sunifient. La violence
est lusage extrême de la force, avec lintention délibérée dinfliger
une douleur ou un dommage corporel, psychique, émotionnel, économique ou culturel, à
une personne ou à une collectivité. La violence peut être directe lorsquelle a
une action immédiate sur le physique ou le moral des êtres humains. Elle peut être
indirecte lorsquelle est appliquée par le biais de structures
dappauvrissement ou de privation des droits fondamentaux. Si la violence se
caractérise toujours par lusage extrême de la force, la force en revanche
nest pas toujours et inévitablement le signe de la violence. La force est la
capacité de saffirmer, une impulsion vitale pour atteindre son objectif. Qui plus
est, pour affronter la violence, il est indispensable de compter sur la force de ceux qui
sopposent à larbitraire et à lhumiliation de la dignité humaine. La
résistance aux guerres et à toute forme de violence est une preuve de force des êtres
humains.
- Résolution pacifique des conflits
La résolution pacifique des conflits est lune des façons
dassumer la confrontation des intérêts. Sans être inévitables, la guerre et
diverses formes de violence offrent toujours la possibilité de canaliser et de résoudre
les conflits. Le recours à la résolution pacifique des conflits marque un progrès dans
la culture politique dune société.
Au nombre des différentes formes de résolution pacifique des conflits
nous pouvons citer : la négociation, laccord, larbitrage, la
conciliation et le recours à la justice. Dans tous ces cas de figure, le dialogue, la
médiation, les bons offices ainsi que les services de témoin et de garant sont des
mécanismes fondamentaux. Il convient dinsister ici sur le fait que le dialogue est
une condition nécessaire pour la résolution pacifique des conflits. Le fonds du dialogue
est beaucoup plus important que le contenu des discussions et les objectifs atteints, car
lexpérience du dialogue devient un apprentissage de la paix. Le dialogue comme pur
exercice oratoire perd tout son sens sil nentraîne pas ladhésion à
des valeurs et des attitudes pour la paix.
Il est donc indispensable de nourrir le dialogue pour aboutir à des
solutions pacifiques des conflits qui reconnaissent la valeur des personnes, qui
reconnaissant en lautre un être digne, qui a sa propre valeur, qui a des droits, et
qui mérite dêtre écouté et respecté comme être humain. Sans cette
reconnaissance de lautre il sera impossible de résoudre un conflit par des moyens
pacifiques. La violence est essentiellement la méconnaissance de la dignité de
lautre considéré comme un objet jetable dont on peut se passer, un objet
inopportun qui peut être éliminé. Lélimination de lautre ou des autres ne
se fait pas seulement en leur donnant la mort, forme extrême de violence, mais aussi en
les utilisant comme objets, en méconnaissant leurs droits, en imposant la loi du silence,
en refusant de reconnaître leur propre existence et leur droit à la parole.
Le dialogue entamé pour la résolution pacifique des conflits exige en
outre que lon soit disposé à apprendre. Personne ne naît avec des dispositions
innées pour le dialogue. Il faut apprendre à dialoguer, à désamorcer les haines, les
hostilités, à comprendre quel est le moment opportun pour démarrer le dialogue et quel
est le moment de composer. Lapprentissage du dialogue se fait en dialoguant mais il
faut sy préparer.
PROPOSITIONS DÉDUCATION POUR LA RÉSOLUTION PACIFIQUE DES
CONFLITS
-
Désamorcer les haines, apprendre le pardon, uvrer pour la justice et la
suppression de limpunité : Les sociétés du Continent, surtout celles qui
ont connu des conflits armés et linterruption de leur régime démocratique, ont
connu des périodes de violence et de violation des droits civils et politiques. Il est
indispensable de dénouer les liens de haine et de ressentiment, de créer les conditions
subjectives, sociales, et politiques qui permettront de pardonner en se fondant sur la
vérité et la justice. La paix est constamment en danger lorsque règne limpunité
et que la dignité humaine, le droit à la liberté et la souveraineté des citoyens sont
gravement bafoués. Toutes les structures éducatives, y compris le système scolaire,
peuvent et doivent inclure le pardon et la réconciliation dans leur enseignement des
valeurs pour que les sociétés nationales aient la capacité dassumer la vérité
et la justice.
Renforcer les programmes des gouvernements locaux axés sur la pédagogie de la
coexistence entre citoyens :
Si la paix est un engagement des États et des sociétés
nationales, les efforts déployés par les administrations locales pour que se nouent de
nouvelles relations entre les citoyens, sans recours à la force ou à la violence,
doivent être appuyés et renforcés. Nous voulons parler de programmes éducatifs
concernant le désarmement volontaire, des mesures de restriction de la consommation
dalcool accompagnées de propositions déducation sur cette question, des
programmes largement participatifs concernant la sécurité des citoyens comprenant un
volet de prévention et de réhabilitation des délinquants et des contrevenants, des
pratiques de dialogue et de négociation entre les autorités locales et les communautés
en ce qui concerne la prise de décisions, etc..
Favoriser la négociation sociale et politique sur les grands conflits sociaux.
Le
conflit social (ou les conflits sociaux) engendré par linégalité de la
répartition des revenus et la distribution de la propriété continue dêtre la
cause de mouvements sociaux de revendication dans le Continent. Étant donnée la
conjoncture actuelle, où les ressources de lÉtat sont moins disponibles et où
lon procède à des ajustements macro-économiques qui supposent une moindre
intervention de lÉtat dans la solution des problèmes sociaux, et où de vastes
pans de nos sociétés sont confrontés à la pauvreté et à lexclusion, il est
indispensable de trouver des formules daccord et de négociations sociales et
politiques qui évitent des confrontations violentes. Cest pourquoi la résolution
pacifique des conflits doit faire appel à la consultation populaire, au dialogue, à la
concertation, à la conciliation, à des débats publics, etc.
Favoriser une refonte éthique des sociétés en reconnaissant la diversité et
lexpérience des citoyens :
Par le passé, les sociétés du Continent ont
fondé leurs principes de moralité sur des traditions religieuses transmises par la
famille et lécole, par des sanctions sociales et par lexpression de la
religion. Aujourdhui, les institutions de socialisation traversent une crise
profonde et il nexiste plus de cadres de référence éthique qui puissent
prétendre avoir une portée universelle. La coexistence pacifique, respectueuse et
tolérante, a besoin dun horizon éthique, dune échelle de valeurs qui
protège la vie et la dignité humaines. Ce cadre de valeurs peut être construit, et doit
être construit, à partir de la diversité. Il sagit dune éthique à
laquelle, quelles que soient notre vision du monde, nos traditions culturelles, quels que
soient nos contextes et notre situation, nous pouvons apporter des valeurs communes que
nous pouvons affirmer et protéger. Le trait commun qui paraît nous identifier tous est
notre condition de citoyens et de citoyennes dune communauté politique. Faire appel
à la citoyenneté comme concept unificateur pour trouver les principes éthiques de la
coexistence contribue à la consolidation des identités et des vocations politiques des
peuples et nations du Continent.
Assurer la formation pour assumer les conflits de manière positive et leur trouver une
solution : Si nous avons parfois identifié la paix comme labsence de
conflits, il nous faut aujourdhui comprendre que la paix se construit au milieu de
ces conflits et que, par conséquent, la société dans son ensemble, et lÉtat en
tant que responsable de sa conduite et de son orientation, est appelée à assumer les
conflits comme étant inhérents à la vie personnelle et collective des êtres humains.
Dans leur expression la plus large, les processus éducatifs devront donc révéler les
conflits plutôt que les occulter, nier leur existence ou leur trouver des causes qui ne
permettent pas de les résoudre. Quel que soit le cas de figure, il nest pas bon de
ne pas proposer de solution aux conflits. Même sils sont positifs pour la
croissance sociale, les conflits ne sont pas souhaitables comme situation permanente et
indéfinie. La recherche créative de solutions pour résoudre les conflits est le
meilleur apprentissage pour mettre fin aux conflits susceptibles déclater à
lavenir.
Élaborer des programmes spéciaux de formation des éducateurs et autres responsables
chargés de la formation de lopinion publique et des communautés locales :
La
paix ne se fait pas spontanément. Les attitudes, les valeurs et les aptitudes
quelle requière, plus particulièrement pour la négociation des conflits, sont le
produit dun apprentissage. Les éducateurs des pays du Continent et les autres
personnes chargées de la formation des sociétés nationales et des communautés locales
(journalistes, communicateurs, responsables des communautés religieuses, responsables
communautaires, etc. ) nont pas toujours les outils conceptuels, les aptitudes ou
lhabileté nécessaires pour aider à résoudre les conflits ou à intervenir dans
léducation pour la paix. Il est indispensable de créer des programmes spéciaux
pour ceux qui sont chargés de ces tâches et pour ceux qui ont commencé létape de
formation dans leur carrière (pédagogie, communication sociale, journalisme, etc.) Dans
les pays qui subissent les effets des conflits armés internes, cette nécessité est
beaucoup plus urgente et contraignante et comporte en outre dautres éléments tels
quune préparation permettant de soigner les victimes de guerre, et une formation
pour affronter les effets psychologiques de la violence sur la population infantile et
juvénile.
Proposer un débat public sur le contenu extrêmement violent des émissions de
télévision et les programmes éducatifs qui tendent à reproduire les schémas de
violence à lécole :
La télévision a un impact inégalé sur la vie des
enfants et des jeunes. En règle générale, la socialisation des nouvelles générations
se fait surtout en passant des heures chaque jour devant lécran de télévision et
les réseaux du cyberespace, toujours plus accessibles à de larges secteurs de la
société. Toutes ces émissions mettent des trésors à la portée des jeunes enfants et
des adolescents, mais elles transmettent aussi sans critique valable un modèle
dhumanité fondé sur la violence. Le système scolaire reproduit parfois des
schémas de violence et dexclusion sociales : limposition de châtiments
non justifiés ou démesurés, linstauration dune concurrence entre élèves
qui efface le sentiment de solidarité, des programmes scolaires copiés sur la vie
militaire (écoles militaires pour élèves du secondaire). Ceux dentre nous qui ont
un rôle à jouer dans lélaboration des programmes déducation pour la paix
dans les sociétés nationales et dans le Continent doivent favoriser le débat public sur
ces thèmes déducation et sur lavalanche des images de violence que nous
transmettent les écran des télévisions et des ordinateurs.
Établir dans les systèmes éducatifs une stratégie double déducation pour la
paix qui combine un mode transversal et un mode de formation explicite :
Il
existe plusieurs options pour institutionnaliser lenseignement de la paix dans le
système éducatif. Lune dentre elles est de faire en sorte que la paix, et
plus particulièrement la négociation des conflits, soit une discipline du programme
scolaire. Une autre est de convertir lapprentissage de la paix en une question
transversale enseignée dans tous les programmes, projets et disciplines des
établissements déducation. Ce serait en quelque sorte un programme de travail
omniprésent par-delà les formulations explicites, et qui suppose la promotion dun
mode de conduite, dattitudes, de techniques et de capacités de coexistence dont la
négociation des conflits. Nous proposons dentreprendre un effort pour mêler les
stratégies. Dune part, il sagit que la paix se convertisse en
« contenu » à partir duquel on impartit des connaissances. Dans ce cas, la
recherche sur des conflits (et sur des conflits précis) et lélaboration théorique
conceptuelle sont les plus importantes. Dautre part, il faut faire en sorte que la
paix et la négociation des conflits se traduisent en attitudes et capacités habituelles
des institutions éducatives. Ainsi, la connaissance du contenu senrichit avec la
résolution pacifique des conflits instaurée comme pratique réelle des centres
éducatifs.
Favoriser la formation en relation avec la coopération, la solidarité et la
compréhension des relations entre les peuples et les États :
Sil est vrai
que les relations entre États sont régies par le droit international et par les voies
diplomatiques, par-delà laction des États, les peuples et les nations sont
responsables de la construction et du maintien de la paix. Les conflits armés sont
aujourdhui fréquemment internes mais la menace de guerres entre États ne doit pas
être écartée. Le fondement éthique de la formation des peuples peut aider à amoindrir
les causes et les conséquences des conflits armés, il peut contribuer à contenir la
guerre et à ménager une sortie. Cest pourquoi il faudrait reprendre les efforts de
diffusion de la Charte des Nations Unies et de la Charte de lOrganisation des Etats
américains dans les systèmes éducatifs, en sappuyant sur les différents médias.
Il serait bon également de favoriser les projets déducation pour la paix dans les
zones frontalières, projets qui seraient conçus conjointement par les États et les
gouvernements, de favoriser léchange de données dexpériences pédagogiques
dans le domaine de léducation pour la paix, de promouvoir la construction de
réseaux de maîtres et autres professionnels travaillant dans ce domaine. La confiance
dans les relations internationales doit reposer autant sur la volonté de paix des États
que sur la bonne volonté et la fraternité construite sur lidentité des sociétés
nationales, notamment dans les zones frontalières.
Favoriser, renforcer et développer une justice alternative pour résoudre les
conflits : Le droit à la justice est lun des droits les plus sensibles des
sociétés modernes. Les citoyens sattendent à une justice efficace, rapide,
respectueuse des droits des inculpés et qui a la capacité de dicter des sanctions
adéquates susceptibles de réparer les dommages causés et de réintégrer les fauteurs
de troubles dans la société. Mais ladministration de la justice ne répond pas
toujours à ces aspirations et elle soccupe parfois de questions qui peuvent être
résolues par des mécanismes de conciliation, sous les auspices du système judiciaire.
Le fait de résoudre des conflits judiciaires grâce à une justice alternative au moyen
de mécanismes tels que la conciliation requiert un processus de transformation
culturel : il faudra découvrir ou redécouvrir quelles sont sources dautorité
des communautés, comment elles résolvent les conflits, il faudra imaginer et créer
lautorité entre les citoyens, avec lapprobation de lÉtat, pour
résoudre pacifiquement les conflits sans quil y ait de perdants, le point
fondamental étant que toutes les parties seront daccord pour trouver quelles
sortent gagnantes du processus.
Léducation pour la paix, notamment pour la résolution pacifique des conflits,
requiert des traditions culturelles favorables au dialogue, à la compréhension, à la
solidarité et à la coopération :
Chez tous les peuples des Amériques, il existe
des traditions centenaires de solidarité, de coopération mutuelle, de bon voisinage et
darrangements concertés pour résoudre les problèmes et parfois les conflits. Le
développement des nations du Continent ne dépend pas uniquement de leur capacité à
sinsérer dans les marchés mondiaux, de leur adaptation technique et de leur
stabilité macro-économique. Le développement se réfère aussi à la croissance de
lidentité culturelle. Sous cet angle, les traditions favorables à la paix et à la
coexistence pacifique doivent être revalorisées et redécouvertes afin de former une
éthique collective favorable à la paix et à la résolution pacifique des conflits.
QUELQUES CRITÈRES D’ÉVALUATION DES PROPOSITIONS RELATIVES À UNE ÉDUCATION
VISANT LA RÉSOLUTION PACIFIQUE DES CONFLITS
Ladoption de mécanismes de résolution pacifique des conflits
implique une transformation dattitudes, de valeurs et dimaginaires quil
nest pas toujours facile dévaluer ou de mesurer. Cependant, il est possible
de formuler des paramètres dévaluation des politiques et programmes qui essaient
visiblement de former les citoyens à ces exercices pour la paix.
Il existe des indicateurs particulièrement importants pour les États
et les gouvernements. Il est possible de mesurer limpact quont les politiques
de désarmement volontaire et de contrôle des horaires de consommation de lalcool
sur la fréquence des actes de violence. Nous parlons ici de politiques gouvernementales
et plus particulièrement de celles des administrations locales, qui requièrent des
programmes de formation et de communication. Outre ces politiques il existe des mesures
coercitives que peut appliquer ladministration publique pour le port des armes et la
consommation de spiritueux et de stupéfiants.
Les États et les gouvernements peuvent aussi évaluer
lefficacité des programmes éducatifs relatifs à la résolution pacifique des
conflits en ayant recours à la conciliation, aux juges de paix et à dautres
instruments de justice alternative, en mesurant dune part le nombre de conflits qui
parviennent à ces instances, leur effet sur le système officiel de justice et,
dautre part, en évaluant qualitativement le degré dassimilation des
mécanismes de résolution des conflits, institués par lÉtat et la société.
Pour la vie institutionnelle des États et des nations du Continent,
lun des critères dévaluation de léducation pour la résolution
pacifique des conflits est lié au niveau et à la qualité du dialogue, de la
négociation et de la concertation concernant les grands conflits sociaux. Il faut pour
cela que soient qualifiés les représentants de lEtat et notamment de
lExécutif, de même que les représentants des divers états de la société. La
création de commissions de dialogue, de négociation et de concertation instituées par
accord mutuel et particulièrement conçues pour traiter des conflits particuliers
(conflits agraires, de revendications salariales, relatifs à des nécessités
fondamentales insatisfaites, à la qualité et à la couverture du système de santé ou
déducation, etc.) est un critère visible dévaluation des progrès
réalisés en la matière.
Un programme éducatif pour la résolution pacifique des conflits a
plusieurs niveaux dévaluation pour le système déducation formel. Dune
part, il y a lévaluation du système lui-même : le système éducatif a-t-il
ou non créé dans lenseignement public ou privé-- un programme de formation
spécifique pour la paix et plus particulièrement pour la résolution des conflits, de
manière à ce que les enseignants aient les approches, les valeurs, les techniques et les
capacités adéquates ? Lélaboration dun programme de formation
spécifique en la matière définit assez bien lefficacité de la proposition
déducation pour la résolution pacifique des conflits. De fait, lengagement
des éducateurs vis à vis dun programme de formation de cette nature doit faire
partie de lévaluation de leurs propres efforts en qualité déducateurs.
Le système éducatif peut avoir un autre indicateur important pour son
évaluation. Si la formation pour la paix en général et celle de la résolution
pacifique des conflits en particulier natteignent pas un niveau visible
dínstitutionnalisation dans la vie scolaire, elles ne seront pas efficaces.
Cest-à-dire que ce programme devra apparaître dune manière ou dune
autre dans les activités de létablissement scolaire : comme matière
obligatoire, comme formation extra-scolaire dispensée à lécole, comme campagne
spéciale de durée limitée, etc. Sil napparaît pas de manière explicite
dans le système éducatif, il natteint pas son objectif qui est déduquer
pour résoudre les conflits sans violence.
Au sein du système éducatif il y a le fonctionnement réel de
lécole. Là, les critères dévaluation doivent associer les aspects
qualitatifs ,qui dépendent de linterprétation des éducateurs, des pères de
famille et des élèves, aux résultats obtenus : la création de normes de
coexistence pour la paix et le respect de la dignité des personnes, linstauration
de conseils éducatifs pour la résolution des conflits entre élèves, des exemples de
dialogue et daccord entre éducateurs et élèves, le niveau de réduction (ou
daugmentation) de la violence entre jeunes, les modifications des pratiques des
enseignants qui favorisent la violence et lautoritarisme, etc.
Il est possible de formuler des critères dévaluation pour la
société dans son ensemble, et plus particulièrement pour les enseignants, les moyens de
communication, la presse, et les autres secteurs influents pour la formation de
lopinion publique (communautés religieuses, responsables sociaux et politiques,
notamment). Une société sachemine vers la paix et la culture de la négociation
pacifique des conflits lorsquelle discrédite la guerre et la violence, lorsque le
message public des secteurs responsables de limaginaire social invitent à la
réconciliation, à loubli de la haine, à laspiration à la justice sociale,
à lélimination de toute forme de violence, à la lutte contre limpunité et
à la recherche de tous les moyens possibles pour supprimer les conflits de manière
pacifique. Cest ainsi que le débat public sur le contenu de la violence dans les
programmes télévisuels et autres supports électroniques, la discussion sur le modèle
éducatif, la réflexion, la controverse et la divulgation de léthique des citoyens
(qui font en sorte que le souci dune éthique favorisant la coexistence devienne
laffaire de tous) sont des indicateurs des progrès réalisés par la société et
lÉtat sur le chemin de la paix.
La scène internationale peut également être évaluée. On impose la
coopération entre États et gouvernements pour créer des programmes conjoints
déducation pour la paix, et plus particulièrement pour la résolution pacifique
des conflits. Ces programmes peuvent porter sur de multiples propositions : échanges
de programmes éducatifs pour la paix et la confiance réciproque entre les peuples dans
les zones frontalières, évaluations, rencontres, étude comparée des politiques
publiques en matière déducation pour la paix, etc. Si la coopération entre tous
les États ne devient pas visible par lélaboration dun programme réel de
formation pour la paix, et de manière concrète pour la résolution pacifique des
conflits, tous les idéaux de coexistence perdent leur efficacité et se réduisent à des
effort isolés qui nassurent pas la paix comme expérience vécue par tous les
habitants des Amériques.
II
DEUXIÈME AXE THÉMATIQUE
PROMOTION DES VALEURS ET PRATIQUES DÉMOCRATIQUES
L'intention même de cette contribution est de suggérer quelques
initiatives pratiques dans le contexte de l'élaboration d'un Programme continental
d'éducation pour la paix. La discussion des diverses expériences nationales et les
confrontations qui pourraient en émaner assureront que ces propositions soient affinées
et redéfinies afin que, une fois restructurées, elles permettent d'obtenir le consensus
nécessaire et de garantir leur viabilité.
INTRODUCTION
Ces derniers temps, on a pu constater que le retour et la consolidation
de la démocratie dans certains pays du Continent est un phénomène qui a dû faire face
non seulement au handicap d'institutions démocratiques précaires, mais aussi au déficit
des sujets porteurs du projet démocratique, qui, parce qu'ils en étaient leurs
détenteurs l'ont défendu, élargi et renforcé (WILLS, 1999). Il est évident qu'il
s'agit là d'un terrain sur lequel il est urgent d'intervenir pour que la démocratie ne
soit pas perçue comme une proposition étrange et imposée, mais qu'elle s'affirme comme
le produit de quelques traditions qui nous sont propres et d'une culture que nous sommes
et au sein de laquelle nous sommes en mouvement.
Dans ce sens, la formation et la consolidation des sujets
démocratiques doit se dérouler dans le contexte de la culture, c'est-à-dire dans la
consolidation d'un ethos qui, à la manière d'une deuxième nature, imprime un
sens à nos comportements. Ce sens est porteur de concepts et de valeurs implicites et il
se manifeste en termes d'habitudes et de coutumes face auxquelles il ne peut se
délibérer parce qu'il exprime le sens commun de toute une collectivité.
Un ethos de cette nature est une construction historique. Il est
le produit vanté d'expériences collectives réalisées au contact avec les défis de la
survie, de l'adaptation à un environnement, de la victoire sur l'adversité et les
difficultés rencontrées dans le processus de construction d'une organisation sociale
plus adéquate. Dans cette gamme variée et imprévue d'éventualités, les peuples
apprennent par l'essai et par l'erreur, mais ils définissent également, par le biais
d'une délibération générale, les buts qu'ils vont chercher à atteindre, les valeurs
qu'incarnent ces buts communs et les pratiques au moyen desquelles elles prendront effet
dans la société et deviendront un élément de la construction permanente de la
société. Cet ensemble d'options délimitent le profil éthique d'un peuple et ce sont
elles qui permettent de parler en réalité d'un peuple et non d'un agrégat fortuit
d'individus.
Le consensus éthique dont nous parlons ne s'est pas défini en une
fois et pour toujours en un temps mythique originaire. Au contraire, il y a là une
réalité changeante, sujette à un plébiscite permanent dans lequel interviennent toutes
les composantes de la collectivité en fonction de leur sphère d'activité particulière
et de leurs propres intérêts. Cette délibération se reproduit devant les nouveaux
défis et lors de crises éthiques qui surviennent lorsque le cadre de référence des
notions, valeurs et pratiques s'est désintégré, faute de validité.
Au cours de ces dernières décennies, la consolidation de la
démocratie et le restructuration de la coexistence se sont inscrits à l'ordre du jour
dans le cadre d'un changement d'époque et d'un processus approfondi de mondialisation qui
non seulement oblige à une ouverture sur le monde et au dialogue avec d'autres cultures
sans pour autant que soient redéfinies les relations internes et celles des diverses
composantes avec les dynamiques externes en mouvement perpétuel et vertigineux.
Dans la culture de nos peuples existent des traditions précieuses de
républicanisme, de solidarité et de patriotisme, ainsi que des attitudes discutables
liées, entre autres, à des aspects sociaux et politiques. Des aspects qu'il est
nécessaire de prendre en considération, vu que nous sommes à recréer une nouvelle base
éthique, à redéfinir les notions, les valeurs et les pratiques collectives, processus
dans lequel il importe d'avancer dans l'approfondissement de nos meilleures traditions, en
les projetant sur la définition d'un présent viable par la prise en charge des mutations
contemporaines et en fonction de l'amélioration et de la durabilité de nos sociétés.
Le consensus recréé et redéfini sera à nouveau le résultat d'une vaste délibération
à laquelle elles participeront avec leur savoir particulier et en s'exprimant par les
moyens qui leur sont propres.
En d'autres mots, ce n'est pas par la transfusion de valeurs
supposément universelles - tout admirables qu'elles paraissent ou fécondes qu'elles
aient pu être sous d'autres latitudes -, que notre ethicité démocratique doit se
restructurer. Nous ne réclamons pas par là un aveuglement face au monde et une
réflexion profonde devant un passé qui devrait être bien plus qu'un objet de nostalgie,
et une identité jamais terminée. Nous suggérons l'appropriation par toute la société
des traditions et des nouveaux concepts et valeurs qui lui permettront de survivre et de
progresser tout en restant fidèle à elle-même.
Il faut déduire de ce qui précède qu'un programme en formation aux
valeurs et pratiques démocratiques doit être basé sur un consensus de tous les
intervenants sociaux et en particulier de ceux qui ont une quelconque influence sur la
formation des subjectivités (autorités civiles et religieuses, dirigeants politiques et
sociaux, universitaires et éducateurs en général, travailleurs des moyens de
communication et artistes). Ce consensus, qui sera toujours provisoire et discutable,
devra engager de manière libre et spontanée tous les intervenants précités pour que la
construction de la société ait une orientation partagée.
Créer les conditions pour une délibération pluraliste et englobante,
la stimuler et en tirer les conclusions pertinentes doit être un but visé par les
autorités, dans le sens que c'est à la société qu'il appartient de définir le type de
coexistence qu'elle mérite, les valeurs sur lesquelles elle doit être fondée et les
qualités civiques auxquelles elle aspire parmi ses membres.
CONDITIONS PRÉALABLES DE CONNAISSANCE
Comme nous l'avons déjà laissé entendre, nous vivons dans une
époque de changements dans la subjectivité des gens ainsi que dans les liens de
sociabilité. Il n'y a pas seulement de nouvelles technologies et divers flux de
marchandises et d'information, mais il faut également souligner que tant l'un que l'autre
transforme la sensibilité des personnes, changent leur façon de vivre tant dans le temps
que dans l'espace, modifient la façon de saisir la réalité et les relations
interpersonnelles. Ni les changements économiques et technologiques, ni les mutations
culturelles que ces derniers entraînent ne sont compris dans leur nature et dimensions de
sorte que ceux qui s'intéressent à la définition de politiques culturelles puissent
agir sur des bases solides.
La réalité des tendances en cours peut être un signe de la
viabilité des politiques, de leurs limites et de leurs possibilités. Au contraire,
formuler des politiques sans tenir compte des changements de la réalité peut signifier
qu'on le fait en fonction de préjugés ou de désirs sans fondement. Ce qui est certain,
c'est qu'au cours des deux dernières décennies, la situation des campagnes et des
paysans, l'attitude des jeunes face à l'éducation et au travail, le rôle des femmes et
la structure de la famille, l'utilisation du temps libre et la relation avec les formes
traditionnelles de l'ancienne culture, entre autres, ont connu un changement radical.
À ce sujet, il conviendrait de proposer la création dobservatoires
des changements culturels qui, dans chaque pays, seraient chargés d'analyser les
transformations en cours, tout en précisant leurs tendances, les facteurs qui les
génèrent et leurs impacts éventuels. Les méthodologies et les résultats des
recherches peuvent être partagés et systématisés à l'échelle continentale, de
manière que puisse s'approfondir de plus en plus la compréhension des transformations
des subjectivités et de la culture et, en relation avec ceci, qu'il existe des éléments
l plus qualifiés pour définir et négocier le contenu des politiques culturelles.
Il s'agit là précisément de la première composante du projet Une
culture pour la démocratie, que sont à élaborer le Ministère de la Culture du
Brésil et le Latin American Studies Center du Maryland, avec l'appui de la BID (Projet
TC-97-04-24-9-RG). Le premier module de ce projet est composé de recherches qui
développent et analysent des indicateurs de la culture démocratique brésilienne dans
son système éducatif, les moyens de communication et les espaces non
institutionnalisés.
Dans ce même sens, il convient d'appuyer la proposition de Néstor
García Canclini (GARCIA CANCLINI, 1999) de créer un Système latino-américain
d'information culturelle. "Sa fonction principale -- explique son auteur --
serait de recueillir des statistiques fiables de tous les pays de la région, qui
enregistrent le développement et les tendances des investissements culturels (publics et
privés), des consommations (en particulier des industries culturelles) et des perceptions
interculturelles (images des autres pays de la région et de l'espace euro-américain et
nord-américain)". Il faudrait également que ce système suive, sur le plan de la
statistique, les changements de goûts et de préférences des habitants de la région,
notamment des jeunes.
Ces deux propositions peuvent apporter les intrants de départ pour la
définition de toute politique aux valeurs et pratiques démocratiques, non seulement pour
les fonctionnaires du secteur public, mais aussi pour ceux et celles qui, depuis le plan
privé - que ce soit au niveau de l'industrie culturelle, des églises et d'autres
domaines - prétendent avoir un rôle à jouer dans la formation des sujets
démocratiques.
STRATÉGIES DE GÉNÉRALISATION DES PRATIQUES DÉMOCRATIQUES
On ne peut consolider les valeurs et pratiques démocratiques au moyen
d'un processus d'endoctrinement, comme celui qui prétend amener la vérité ou la
civilisation à ceux qui se sont perdus dans l'erreur ou le barbarisme. Une fois
éliminée la perspective illuministe, la démocratie doit être conçue avant tout comme
une forme de vie supérieure, comme caractéristique d'une qualité de vie supérieure.
C'est pour cela qu'il est important de généraliser les pratiques démocratiques tant en
ce qui concerne les propositions d'amélioration de la vie que les outils permettant de
mieux résoudre les difficultés de la vie quotidienne, et d'y voir comme des moyens
susceptibles d'établir une coexistence plus satisfaisante. OU dit en d'autres mots, la
démocratie se renforcera entre nous lorsque nous assumerons tous comme notion pratique
qu'il fait mieux vivre dans une démocratie.
Par conséquent, lorsque nous parlons de consolider une culture
démocratique, il faut mettre davantage l'accent sur la généralisation des pratiques que
sur le sermon de valeurs. Parallèlement à l'extension des pratiques, et peut-être mieux
encore, une fois que les pratiques ont fait leurs preuves, il sera important d'entamer un
processus de réflexion avec les groupes et les collectivités pour découvrir et
construire avec les sujets de ces pratiques, les notions et les valeurs qui y sont
implicites.
Vu ce qui précède, nous proposons trois stratégies pour étendre les
pratiques démocratiques:
A. Transformer les environnements dans lesquels domine l'autoritarisme
ou l'exclusion
Il y a des environnements dans lesquels dominent fréquemment des
conceptions et pratiques antidémocratiques, certains d'entre eux avec une orientation
formative particulière --écoles et casernes-- ou des espaces de socialisation importants
--groupes sportifs ou syndicaux, communautés de foi, fabriques et lieux de travail-- ou
des sites rééducation comme les prisons. Dans tous ces espaces, il est important que la
démocratie soit vécue comme une forme de vie, de sorte que, une fois devenue réalité
quotidienne, elle s'infiltre dans la mentalité de ceux qui la pratiquent.
À cet égard, il est possible de créer une notion complexe de
démocratie qui part de la reconnaissance de l'autonomie du prochain, de l'acceptation de
sa capacité décisionnelle propre, de la renonciation à la contrainte par la force ou
par la peur d'exprimer des idées ou des initiatives, de la possibilité de délibérer en
faisant appel à des raisons plus qu'à des arguments d'autorité ou de la possibilité de
transiger pour consolider les accords et les consensus. Une conception complexe de la
démocratie dans laquelle règnent les différences, que ce soit celles relatives la
problématique hommes-femmes ou celles qui caractérisent ceux et celles qui pensent
différemment ou qui ont des options de vie distinctes de celles qui prédominent dans la
société ou qui proviennent d'autres origines raciales ou sociales.
Des espaces quotidiens dans lesquels il faudra apprendre à construire
des espaces publics et des projets collectifs, ce qui ne veut pas dire vivre en assemblée
permanente, en état de votation perpétuelle, mais plutôt que le respect de l'autre
comme un égal s'internalisera par l'expérience comme la valeur fondamentale de la
coexistence quotidienne.
La transformation démocratique de ces environnements pourra se
réaliser par la démolition des pratiques antidémocratiques pour ainsi découvrir quels
en sont les protagonistes --tant actifs que passifs--, les intérêts qui les animent, les
arguments qui les justifient et les moyens effectifs utilisés pour les convertir en
habitudes ou coutumes. Dans ce processus de démolition, il faudra également préciser
quels effets elles peuvent avoir sur les autres, sur le type de coexistence qui se dessine
et sur la qualité de vie en général. Partant de cet exercice d'auto-reconnaissance et
de reconnaissance du milieu, les personnes impliquées peuvent proposer des règles de
conduites alternatives et un plan de transformation de l'environnement.
B. Encourager les pratiques d'association
Un état démocratique sera fort en fonction de la société civile
dans laquelle il se reflète, tout comme une société civile sera plus ou moins solide eu
égard à la densité du tissu d'organisations et de réseaux qu'elle héberge. Dans une
société atomisée et inorganique, il est impossible de construire des projets
collectifs, un espace public et une culture démocratique. Contrairement à ce que
certaines personnes croient, une société civile est la condition sine qua non
d'un état démocratique dont le niveau de légitimité est élevé.
Au contraire, les états totalitaires ont toujours prétendu éliminer
la vitalité de la société civile, disperser par la terreur les libres associations
qu'elle aurait pu générer, créer des organisations contrôlées qui serviraient
d'instruments aux édits du pouvoir en place, forger des leaders obséquieux et serviles.
Dans le sens contraire, le corrélat d'un état démocratique est une société civile
dotée d'un niveau élevé d'autonomie, dont les membres s'associent en toute liberté et
en toute spontanéité pour se consacrer aux questions qui les intéressent le plus. Pour
leurs membres, ces associations sont comme des écoles sur les coutumes et les valeurs
démocratiques, tout comme le creuset dans lequel se forgent les leaderships qui
reproduisent et consolident la démocratie.
Dans une démocratie, tant le secteur public que le secteur privé
doivent promouvoir --dans l'intérêt dune consolidation de la culture
démocratique-- le renforcement de la société civile, en stimulant le tissu
dorganisations et de réseaux qui ont surgi de l'auto-organisation des gens.
Il est donc important de promouvoir l'association qui se consacre aux
intérêts ou à l'établissement de groupes d'intérêts. Il convient dès lors
d'encourager les associations de jeunes qui se consacrent aux hobbies, aux activités
sportives et récréatives ainsi qu'aux initiatives d'ordre économique. Une politique de
promotion des valeurs et pratiques démocratiques doit également stimuler
l'auto-organisation des femmes et le développement du leadership féminin, dans le but
d'obtenir l'égalité entre les sexes. Il convient également de concevoir une dynamique
de renforcement des organisations sociales, véhicule nécessaire à la représentation
des intérêts majoritaires. Mais, par-dessus tout, il faut que l'association soit
encouragée en fonction des causes d'intérêt public comme l'environnement et les droits
de l'homme.
Les mesures d'encouragement de l'association peuvent être de nature
très diverse, avec comme unique condition celle de garantir l'autonomie des formes
d'association. Dans certaines municipalités françaises, on a fait l'expérience du
mécanisme des "AGIR", qui est un espace où se rassemble l'ensemble des
associations civiles de la localité et à partir duquel ces associations se définissent
dans le cadre du développement local et ont accès aux ressources de la municipalité.
Une autre façon de renforcer le tissu d'organisations et de réseaux de la société
civile est de fournir des possibilités de formation aux animateurs et leaders de ces
associations. Nous tenons toutefois à attirer lattention sur la fait que pour ne
pas non plus donner limpression que la direction prise est celle dune
dynamique politiquement partiale, il conviendrait que la formation des leaders soit
attribuée à des organisations indépendantes du gouvernement et puissent ainsi compter
sur son appui. Une forme comme le secteur privé peut appuyer lassociativité
en particulier celle des jeunesen leur offrant des facilités et des moyens
pour les activités quils pratiquent dans leur organisation.
Un autre stimulant précieux de lassociation pourrait consister
en un prix national octroyé périodiquement à la meilleure initiative dans des causes
dintérêt public promue par des jeunes. Lexcellence dans un tel cas ne serait
pas seulement déterminée par le discours de lorganisation, mais aussi en tenant
compte des pratiques démocratiques internes de cette dernière, de la forme de relation
quelle entretient avec ses bénéficiaires et de la qualité de limpact
quelle se propose davoir. Cette combinaison peut contribuer à la
généralisation dun horizon altruiste, qui est une condition pour que la politique
retrouve la noblesse dans son exécution.
C. Exalter les comportements démocratiques et critiquer les
conduites antidémocratiques
La conviction de tout le bien que représente la pédagogie de
lexemple a amené le libérateur Simón Bolívar à létendre au milieu
scolaire: "... la morale ne se commande pas, pas plus que nest maître celui
qui commande ou que se justifie le recours à la force pour prodiguer des conseils",
"... les actes extraordinaires dapplication, dhonneur et de tout autre
noble sentiments ne seront pas effacés par loubli, mais ils passeront avec
reconnaissance aux souvenirs. À cette fin, il sera établi un registre des faits les plus
notables dans lequel sera consigné le nom de leur auteur et le jour de leur exécution.
(...) Le livre en question sera décoré et sera préservé avec toute la vénération due
en un lieu visible". Les jours des célébrations des fêtes de la Patrie, il
conviendra de donner lecture des gloires et triomphes de la jeunesse et les personnes dont
les hauts faits seront ainsi reconnus dans ce livre précieux se mériteront acclamations
et éloges. Un jour de fête et de réjouissances.
En ces temps de réforme éthique, il est nécessaire de reprendre
lesprit de la proposition au cas où les procédures suggérées alors ne devraient
pas savérer viables. Il existe aujourdhui de meilleures ressources pour
exalter les conduites démocratiques louables et censurer les comportements
antidémocratiques. Le pouvoir des moyens massifs de communication facilite encore
quau début du régime républicain tant la reconnaissance publique que la sanction
morale.
En principe, tant lexaltation que la censure doivent
sapprovisionner dans le milieu local (lécole, le quartier, la municipalité)
de façon que se produise un effet de rapprochement et quil y ait des gens qui se
sentent motivés par lexemple reconnu ou apprennent leur leçon lors du prochain
exercice. Il y en aura certainement qui argumenteront quen cette époque de
mondialisation, les événements qui se déroulent aux antipodes manquent deffet de
proximité. Cependant, on ne saurait nier que le point de départ dans la formation
dune éthique civique est lexpérience directe de la communauté dans laquelle
on vit.
Ces événements peuvent être la procédure à suivre pour que les
comportements dintolérance et dexclusion, en particulier ceux qui sont
typiques des groupes ou des communautés, soient considérés dans nos sociétés non
seulement comme les actes barbares quils sont, mais aussi comme des actes
répréhensibles et inadmissibles.
Le débat public qui se déroule autour de personnages et de
réalisations dont a proposé la reconnaissance ou la censure sera une occasion pour la
société de sexprimer relativement à ces thèmes, de former un jugement moral, de
sapproprier des concepts éthiques et datteindre de plus hauts niveaux de
dialogue, dargumentation et de recherche daccords.
INSTRUMENTS POUR LA FORMATION AUX VALEURS ET PRATIQUES DÉMOCRATIQUES
La légitimation de la relation tant entre la culture et le
développement quentre la culture et la démocratie est un fait notable de nos
jours. La culture est en réalité un domaine stratégique dans la définition de toute
proposition économique ou politique. Cette revalorisation de la culture se présente dans
une conjoncture particulière.
Il résulte des nouvelles technologies et de la mondialisation que la
production de biens culturels est devenue une véritable industrie sujette aux exigences
et aux modalités du marché. Les centres de lindustrie culturelle se trouvent
au-delà des frontières nationales, sans quil soit fait référence à un
territoire ou à une tradition culturelle, ce qui entraîne une modalité particulière de
lespace public. Les nouvelles ressources technologiques ont transformé les langues,
ce qui entraîne la prépondérance de limage sur la parole écrite et du récit sur
largumentation, dans une séquence non linéaire mais plutôt comme un montage
dépisodes fugaces qui débitent à coup de rafales. Ces changements, pour ne parler
que de ceux qui paraissent les plus pertinents, ont un impact sur la relation entre les
états et les producteurs de lindustrie culturelle, entre ceux-ci et les
consommateurs, et entre la production culturelle et le discours et les tâches politiques,
mais surtout sur la nature et les possibilités des politiques culturelles.
Jusquà aujourdhui, la politique culturelle
sinscrivait dans les termes de la ville lettrée, comme lappelle le
maître Jesús Martín-Barbero (MARTÍN-BARBERO, 1999). Cela veut dire que de manière
exclusive, il se limitait aux lettres, à la musique et aux arts plastiques et ce dans le
cadre de ce quil appelait la haute culture. La ville lettrée privilégiait le texte
écrit, qui était le canal de réflexion et le véhicule de la désaliénation. Il est
possible que la ville lettrée, lindustrie culturelle et les moyens massifs de
communication transmettent la haute culture, mais ils ne la créent ni ne la recréent et
sont des espaces rejetés par la réflexion et la liberté.
De nos jours, les moyens électroniques nimposent pas seulement
de nouveaux langages mais il se trouve aussi que de nouvelles relations sont tissées avec
les consommateurs. Les cultures populaires et les traditions populaires shybrident
et se mélangent avec des langues et des ressources universelles. Des arts distincts
sintègrent dans une proposition dhypertexte, qui donne diverses options de
lecture au consommateur. Cest dans ce milieu que se créent de nouvelles identités
alors que les traditionnelles se redimensionnent et se modifient.
Contrairement à toute attente, les nouvelles technologies permettent
délaborer des initiatives de communication à léchelle locale qui
véhiculent les attentes des communautés spacialement réduites. Cest le cas des
radios et des canaux de télévision communautaires, ce qui crée de nouvelles
possibilités pour le travail dans le milieu de la culture et de la politique.
Cest sur ce terrain que nous formulons trois critères qui, de
façon générale, seront féconds sils déclenchent des processus créatifs.
Le processus de formation aux valeurs et pratiques démocratiques doit
sapproprier les nouvelles ressources technologiques, leurs langages et les nouvelles
formes de relation avec les utilisateurs de ces ressources. Sy refuser, ce
nest pas seulement se priver par myopie des moyens susceptibles de lenrichir,
cest aussi et surtout courir le grave danger de se rendre incompréhensible pour des
segments fondamentaux pour son but, notamment les jeunes. Il ne sagit pas de
développer une valorisation instrumentale face à ces ressources, il sagit
dapprendre à communiquer dans le cadre dune nouvelle relation qui fait appel
à dautres langues, à dautres discours et à différentes attitudes.
Dans le cadre de la concertation des politiques avec les producteurs de
lindustrie culturelle, les états doivent intégrer des clauses dencouragement
des valeurs et pratiques démocratiques. Aujourdhui, lindustrie culturelle, en
particulier la production audiovisuelle et éditoriale, exige des marges de protection
pour assurer non seulement sa viabilité mais aussi sa compétitivité à léchelle
globale. Dautre part, il peut y avoir un intérêt légitime de lÉtat à
vouloir garantir un espace public susceptible de tenir compte des intérêts nationaux et
de la culture nationale, ceci sinscrivant dans le cadre de la question de
souveraineté. Dans cette coïncidence dintérêts, les états peuvent échanger de
la protection contre lencouragement des valeurs et pratiques démocratiques comme
des aspects essentiels de nos projets collectifs. Cet accord peut intégrer la démocratie
aux expressions les plus généralisées de la culture contemporaine. Si, par exemple, les
rationalistes ont eu recours à lopéra et à la musique symphonique pour exprimer
la sensibilité révolutionnaire et les attentes émancipatrices des gens de leur époque,
aujourdhui il faut recourir à linformation et aux propositions créatives
quoffrent les moyens électroniques pour obtenir des résultats similaires.
Indépendamment des accords proposés, lindustrie culturelle doit
assumer comme une dimension de son propre projet de communication et de son engagement
social la formation aux valeurs et pratiques démocratiques. Engagement et projet qui
peuvent toutefois se réaliser par le biais de concertations avec dautres
institutions de la vie sociale, notamment les institutions denseignement supérieur,
lécole en général, les organisations civiques et les autorités religieuses,
entre autres.
Les personnes intéressées à la formation aux valeurs et pratiques
démocratiques à léchelle locale doivent avoir accès aux moyens de communication
contemporains en fonction de leurs conditions et de leurs possibilités, et létat
doit donc faciliter laccès aux chaînes de radio et de télévision communautaires
à ceux et celles qui se sont proposé de dattaquer à la tâche de construire une
culture démocratique.
Faciliter laccès ne veut pas seulement dire créer le cadre
réglementaire approprié mais aussi offrir les possibilités de formation pour que la
radio et la télévision communautaires puissent se développer avec toute la mesure de
qualité appropriée.
RÉVISION DU DISCOURS PÉDAGOGIQUE ET DE LA PRATIQUE DE
LÉDUCATION
Il est vrai que lon ne saurait confier à lécole la
mission de garantir lexistence de la démocratie, puisquen ce faisant, elle
serait en compétition avec dautres sphères de la vie sociale. Il est tout aussi
vrai que lécole moderne semble avoir comme fonction celle de créer chez les
enfants et les jeunes quelle éduque les meilleures conditions possibles pour
lexercice futur de leurs fonctions de citoyens à part entière. Ainsi donc,
lécole est la source dapprentissage des premières notions de civisme.
Cest également à lécole que sapprofondit léducation morale et
que se forment des habitudes précoces de coexistence démocratique. À ce titre,
lécole est irremplaçable, puisque à ce jour, elle demeure lun des premiers
espaces de socialisation.
Pour mieux accomplir cette mission propre de lécole, il faut
démanteler le discours pédagogique et les pratiques de léducation pour
déterminer les caractéristiques contraires à la formation aux valeurs et pratiques
démocratiques. Il ne fait pas de doute que les écoles du continent ont fait
dénormes progrès en ce qui a trait à la compréhension du rôle de
léducation de base dans la formation du citoyen de demain. Il est fort possible que
les enseignants daujourdhui soient beaucoup plus conscients que leurs
collègues dautres époques des possibilités et des limites de ce quoffre
lécole, ainsi que de leurs propres points forts et points faibles. En atteignant
ces niveaux de sensibilisation et dengagement, les organismes intergouvernementaux
et instances de coopération internationale tout comme les fonctionnaires de ministères
et de secrétariats à léducation nationale ont eu beaucoup de succès. Il est
alors proposé dapprofondir ces développements, de les consolider, avec la
conviction quil ne sera jamais superflu de fournir des efforts marqués sur le plan
de léducation pour contribuer au renforcement de la démocratie.
Il y aurait lien, à cet égard, de réviser le processus de formation
des enseignants afin que, en assumant linterrelation entre léducation morale,
la formation pour la démocratie, les sciences sociales et, en général, lensemble
de la vie scolaire, ils disposent des ressources didactiques et des connaissances
nécessaires pour être les formateurs des futurs citoyens. Dans un concept
déducation continue des enseignants, il conviendrait dencourager les
échanges systématiques dexpériences en matière de formation aux valeurs et
pratiques démocratiques, des échanges qui peuvent être locaux, régionaux et
internationaux et favoriser les mécanismes de communication pour que les meilleures
expériences les meilleures puissent être divulguées sur une large échelle.
En ce qui concerne ceux qui éduquent, ils doivent par lécole
acquérir une profonde confiance en eux-mêmes à partir de lauto-reconnaissance et
de la connaissance des autres. La confiance est la base du comportement autonome, de la
réciprocité et de la collectivité civique. Dautre part, la confiance en soi et en
les autres est une condition indispensable pour bouger à une époque chargée de
turbulences et dans une économie et une culture mondialisées. Le développement de la
confiance doit donc être intégré au processus déducation morale et à
lensemble du curriculum. Dès le plus jeune âge, la connaissance de ceux qui sont
différents et leur mise en valeur positive doivent faire partie d ela croissance
intellectuelle et morale. Des pratiques telles que léchange de correspondance et
les excursions, des ressources telles que le cinéma et la littérature et des cours tels
que lhistoire et la géographie sont des domaines privilégiés par lesquels on peut
connaître dautres manières dêtre et de vivre.
CRITÈRES DÉVALUATION
Lévaluation du programme relativement au processus et à ses
résultats devra tenir compte de certains critères, dont les suivants:
-
Transformation des attitudes face à la démocratie et, en particulier, dans le domaine
de la formation aux valeurs et pratiques démocratiques, de la part des intervenants
privés et publics intéressés au débat.
-
En ce qui concerne limpact, il faudrait déterminer périodiquement si, au sein de
la population, un comportement encore plus civique se généralise et si lensemble
de la société gagne plus déléments en tant que collectivité civique.
III
TROISIÈME AXE THÉMATIQUE
LA PROMOTION DE LA PAIX ENTRE LES ÉTATS
INTRODUCTION
Dans ce document, il est assumé, tout dabord, que les conflits
entre les États sont inévitables. Deuxièmement, il est jugé peu réaliste de
prétendre que la disparition de la guerre est une option dans les relations entre les
États. Il est plutôt recommandé de chercher à réduire au maximum la possibilité
den arriver à cette option.
Pour être en mesure de cerner adéquatement les tâches éducatives
liées à la promotion de la paix entre les États, il est nécessaire de définir le
problème qui doit être résolu. Le problème est donc celui du conflit armé entre les
États. À cette fin, il convient de passer en revue ce que lon sait en réalité du
pourquoi de ces conflits.
En réalité, les connaissances fiables sur les causes des guerres se
raréfient. Mais faute de meilleures connaissances, il est nécessaire de travailler avec
les lumières disponibles aujourdhui, en particulier avec celles qui sappuient
sur de solides preuves empiriques. Sans ignorer les facteurs psychologiques et biologiques
qui peuvent contribuer au développement dune guerre, on trouvera ci-après une
récapitulation, sélective et tenant compte du contexte spécifique actuel des
Amériques, des connaissances sur les facteurs de niveau 'macro' qui semblent avoir une
incidence particulière sur lorigine des conflits violents.
Les guerres entre les États sont liées à:
-
Des carrières dans les armes, le tout lié à un manque de communication entre les
États, qui peuvent amener les uns et les autres à interpréter comme mouvements
dagression ceux qui ne sont en fait que de simples mouvements défensifs.
ÉDUCATION ET PROMOTION DE LA PAIX
Au sein des diverses formes de conceptualisation de la finalité des
processus éducatifs, il en est une qui, adoptée dans le présent document, qui envisage
que ces processus visent à renforcer et/ou à réorienter ladhésion à certaines
valeurs fondamentales, à cultiver certaines attitudes axées sur la résolution de
problèmes, à renforcer et/ou à gérer certaines réactions émotionnelles, à
développer certaines habiletés et à élargir le flux des connaissances.
Il convient de souligner que les processus éducationnels contribuent
sous de multiples formes à la promotion de la paix, certains de façon plus lointaine
mais non moins importanteet dautres de façon plus directe. Ce sont ces
dernières qui sont privilégiées ci-après.
Il est donc important quà partir des facteurs générateurs de
conflit violent, qui ont été mentionnés un peu plus haut, les processus éducationnels
appuient les attitudes et valeurs suivantes, quils nous enseignent à comprendre et
à gérer les réactions émotionnelles décrites ci-après et quils cultivent les
habiletés et connaissances qui sont brièvement énumérées ici.
-
Attitudes axées sur la résolution de problèmes : reconnaissance du droit
international dans tous ses champs dapplication --, la diversité culturelle,
lautodétermination des peuples et le dialogue comme moyen de résoudre les
différends. Respect des opinions différentes .
-
Connaissances: sur le pourquoi des guerres et leurs coûts en vies humaines,
limportance quattribuent les personnes à la sécurité pour protéger leur
vie, leur honneur et leurs biens; le rôle positif ou négatif des moyens de communication
de masse dans lorigine des conflits violents entre États; les formes de
manipulation des sentiments du peuple auxquelles ont recours les leaders politiques; les
divers instruments utilisés pour solutionner intelligemment les conflits entre États
(négociations diplomatiques, recours aux "bons offices" de tiers, tribunaux
internationaux, etc.).
Finalement, il est jugé que lune des procédures les plus
indiquées pour bâtir la confiance et, simultanément, détruire les stéréotypes
négatifs des ressortissants dun État face à ceux de lautre, consiste à
maintenir des contacts personnels et informels entre les uns et les autres.
SCÉNARIOS ET INTERVENANTS
Les initiatives qui peuvent se succéder relativement à la promotion
de la paix entre les États devront envisager des activités qui se déroulent au
cur de l'école, en dehors d'elle, comme par exemple dans les associations de pères
de famille et d'éducateurs, les groupes parascolaires, les centres officiels de décision
sur les politiques en matière d'éducation et certains organismes internationaux.
Certaines stratégies peuvent être recommandées dans chaque cas.
Elles sont les suivantes:
a. Dans les établissements scolaires de niveau primaire, secondaire et
de troisième cycle, les activités suivantes pourraient être organisées:
-
Sensibiliser les enseignants, par le biais de divers cours, au fait que les conflits,
tant entre les personnes et les groupes qu'entre les États, sont inévitables et qu'ils
constituent, pour les personnes impliquées, un défit pour ce qui est de mûrir en tant
que personne. À titre de complément, il faut créer l'espace par un ou plusieurs cours
pour analyser systématiquement la nature des conflits humains, leurs causes et leurs
conséquences, ainsi que les formes non violentes de les surmonter.
-
En ce qui concerne les conflits survenus entre son propre pays et un autre, il faut
réaliser des exercices dans l'aula de l'école -- par exemple des jeux de rôle-- pour se
mettre dans la position de l'autre et comprendre la raison d'être de son point de vue.
Encourager la recherche de solutions de rechange, acceptables aux parties.
-
Encourager les étudiants à obtenir des informations, par l'intermédiaire de
l'Internet et/ou de la télévision ou tout autre moyen de communication de masse, sur des
aspects spécifiques d'autres pays, liés à la thématique qui se déroule dans l'aula.
-
Relativement aux problèmes qui affectent divers États -- détérioration de
l'environnement, conurbation dans les zones limitrophes, le trafic de drogues, la gestion
des eaux dans des bassins communs, le développement régional frontalier crime organisé,
etc. --, entamer un processus de réflexion à l'aula sur la nécessité de la
collaboration mutuelle pour les solutionner.
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Il appartient, d'autre part, aux universités d'appuyer les programmes dédiés à la
formation de spécialistes dans la gestion créative des conflits internationaux, et
mettre en marche des recherches à leur sujet, afin de mieux comprendre leur raison
d'être et les mécanismes permettant d'en venir à bout.
b. Aux associations de pères de famille et aux associations d'éducateurs, il
convient de procéder comme suit:
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Faire leur le drapeau de l'éducation pour la paix afin de susciter chez les nouvelles
générations, dès l'âge le plus tendre, l'amour des valeurs fondamentales de la vie, de
la liberté, du traitement équitable, de la justice et de la solidarité, en inculquant
avec le propre exemple les conduites qui les incarnent dans la vie de tous les jours.
c. Aux conseils de direction des associations et d'autres groupes parascolaires
de jeunes, l'invitation est lancée :
d. Aux gouvernements, il est suggéré d'autres initiatives dont les
suivantes :
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Stimuler les professeurs qui enseignent dans le domaine social pour que dans
l'élaboration de leurs cours respectifs, ils traitent de manière documentée et critique
des phénomènes contemporains d'interdépendance croissante, du pourquoi des guerres et
de leurs coûts en vies humaines, de l'importance que les personnes attribuent à la
protection de leur vie, de leur honneur et de leurs biens, du rôle positif ou négatif
des moyens de communication dans l'origine des conflits violents, des formes de
manipulation des sentiments du peuple et des divers instruments permettant de résoudre
intelligemment les conflits entre les États (négociation diplomatique, recours aux
"bons offices" de tiers, tribunaux internationaux, etc.).
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Établir un système d'aides financières dans chaque pays pour que des jeunes choisis
puissent assister à des forums, à des congrès, à des séminaires et à d'autres
événements similaires, organisés comme des arènes de rencontre entre les jeunes du
Continent.
e. À l'Organisation des États Américains, il est suggéré ce qui
suit :
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L'organisation d'un "Parlement Américain des Jeunes" -- semblable au
Parlement mondial des enfants, convoqué par l'UNESCO -- constitué de jeunes de tous les
États du Continent, lesquels se réuniraient annuellement durant une semaine dans une
capitale distincte dans le but de proposer, d'analyser et d'adopter des recommandations
concrètes relatives à la paix et à l'intégration continentale. Il importe de motiver
les moyens de communication de masse et de leur faciliter la tâche pour qu'ils donnent
une ample couverture à ces réunions.
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Programmer sur l'Internet un site de rencontre pour les jeunes des Amériques. Il s'agit
de créer des communautés virtuelles qui puissent "converser" soit librement,
soit sur des thèmes spécifiques, débattre, jouer, échanger des adresses et des
archives, etc.
1. "... pendant les
5.000 ans de notre histoire, il y a eu 14.000 guerres qui ont causé la mort de 5
milliards dêtres humains. Au cours des derniers 3.400 ans, il ny a eu que 250
ans de paix dans le monde. Lors de la première guerre mondiale, 10 millions de personnes
sont mortes dans la proportion de 20 soldats pour un civil, sans compter les 21 millions
de morts causées par des épidémies. La Seconde guerre mondiale a tué 40 millions de
personnes, autant chez les civils que chez les militaires. De 1945 à 1969, il y a eu rien
moins que 73 conflits armés. On a calculé quaujourdhui la proportion des
morts serait de 10 civils pour un militaire, et de 100 civils pour un militaire sil
y avait une guerre nucléaire. De 1900 à 1941, sur 24 conflits armés, 19 ont été des
conflits internationaux et 5 seulement des conflits nationaux. Depuis lors la proportion a
été inversée. De 1945 à 1969, seuls 15 conflits sur 97 ont été internationaux, 26
nont pas été des conflits internationaux alors que 56 étaient des conflits mixtes
ou des guerres de libération.". Jean Pictet, Développement et principes du
droit international humanitaire, Institut Henry Dunant et Comité International de la
Croix Rouge, TM Éditeurs, Santafé de Bogotá, 1997, p. 93.
2. "Si nous pouvons qualifier
labsence de guerre comme une paix négative, labsence de violence
équivaudrait à une paix positive dans le sens de justice sociale, harmonie, satisfaction
des besoins élémentaires (survie, bien-être, identité et liberté), autonomie,
dialogue, solidarité, intégration et équité. Ainsi, la construction de la paix
signifie éviter ou réduire toutes les expressions de la violence, entreprise dune
grande ampleur qui nous indique clairement que la paix nest pas quelque chose que
lon atteint du jour au lendemain; cest plutôt un processus, un cheminement,
une référence. Mais il ne faut pas que limpossibilité de parvenir à une paix
complète nous décourage ou décourage ceux qui veulent confronter ces manifestations de
violence destructrice car ce que nous voulons, cest faire en sorte que les actions
de lhomme soient orientées dans cette direction et non dans la direction contraire,
où prédominent linjustice, la soumission et linégalité". Vicenc
Fisas Armengol, Cultura de Paz y Gestión de Conflictos, Icaria Antrazyt
Editores et lUNESCO, Barcelone, 1998, pp. 19-20.
3. Cf. Séminaire permanent de lÉducation pour la
paix et lassociation en faveur des droits de lhomme, Educar para la Paz, Los
libros de la Catarata, Madrid, 1994.
4. "Le conflit...est un processus
interactif qui se produit dans un contexte déterminé. Cest une construction
sociale, une création humaine différente de la violence (il peut y avoir conflit sans
violence, mais il ne peut y avoir de violence sans conflit), qui peut être positif ou
négatif selon la façon dont on laborde et dont on y met fin. Il peut être
conduit, transformé et surmonté (il peut se transformer en paix) par les parties
impliquées, avec ou sans laide de tiers ; il peut affecter les attitudes et les
comportements des parties et déboucher sur des disputes, qui peuvent être le résultat
dun antagonisme ou dune incompatibilité (initiale, mais surmontable) entre
deux parties ou davantage, le résultat complexe de valeurs, de pulsions instinctives, de
sentiments, de croyances, etc. qui exprime une insatisfaction ou un désaccod sur divers
éléments". Vicenc Fisas Armengol, Op. Cit., pp. 29-30.
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